« Nous, les vivants parle de l’Homme, de sa grandeur et sa misère, sa joie et sa tristesse, sa confiance en soi et son anxiété. Un Homme dont nous voulons rire et pleurer à la fois. C’est tout simplement une comédie tragique ou une tragédie comique à notre sujet. »
N’attendons pas que la mort nous donne du talent (François Valéry)
« Nous les vivants » et non juste « Les vivants » parce que les rares regards lancés à la caméra, dont ceux d’une belle, nous incorporent à ces tranches de vie tragi-comiques bien trouvées. Elles sont en partie inspirées de Laurel et Hardy, qui sont « à la fois très comiques et tristes », dixit le maître.
Ordonnancées au montage – excepté l’intro et la chute – les séquences s’enchaînent de manière fluide et évitent ainsi les travers du film à sketch. En laissant du temps au temps et en conservant ce fil rouge, les petits, jeunes et vieux vivants, le réalisateur partage sa vision des « choses », car à travers ses plans larges il accorde au moins autant d’importance aux décors qu’aux individus. « Bergman pensait que le visage disait tout sur l’être humain. Moi, je préfère regarder sa chambre. » avoue-t-il, passant un temps monstre à préparer ses vignettes, toutes fignolées en studio tels des dioramas grandeur nature.
Un décor, la belle ; une étude des couleurs et lumières à se damner.
Les scènes sont pour la plupart des plans fixes mûrement travaillés qui jouent sur la profondeur de champs, l’interaction entre individus au premier plan et d’autres au second, qu’ils aient une importance ou n’incarnent que de simples figurants, tels des objets témoins. C’est original, reposant, frais, mais également très ludique. Cette facétie dans la création évoque parfois Terry Gilliam et les Monty Python, en particulier leur bijou de film à sketchs, Le sens de la vie, au propos tout autant grinçant.
Ses études de cinéma au Dramatiska Institutet de Stockholm rendent Andersson d’abord célèbre en tant que réalisateur de publicités. Elles lui permettent de financer ses longs. Cela répond à ceux qui se demandent pourquoi il ne tourne pas en noir et blanc à ainsi flirter avec des tonalités chromatiques grises (j’ai pensé au dessinateur Serre, pour ma part). « Si vous faites du noir et blanc, c’est un peu trop facile », juge le réalisateur. « On tend immédiatement à penser qu’on fait du bel art et je n’aime pas ça. J’ai commencé avec ces couleurs dans les années 80 parce qu’après 15 ans à tourner des films, je me suis soudain senti très fatigué. Je n’étais pas inspiré par le style réaliste que j’utilisais. Fort heureusement, j’ai trouvé un moyen de contourner ça. J’ai commencé à faire de l’abstrait, inspiré par la peinture, spécialement la période d’entre-deux guerres, dans les années 30, en Allemagne. Mon peintre favori est l’expressionniste Allemand Otto Dix. » Si celui-ci a surtout peint les affres de la 1ère Guerre Mondiale après l’avoir vécue, en farfouillant sur la « toile » on découvre certaines de ses œuvres très clairement connectées à l’univers d’Andersson (ces corps droits, gris…).
Oeuvres d’Otto Dix.
Cette austérité devient hilarante et musicale à travers le cinéma, média qu’Andersson découvre pendant les diverses vagues des années 60, après avoir un temps songé à devenir écrivain en lisant Albert Camus. Côté tempo, tout comme Woody Allen il apprécie le style jazz de la Nouvelle Orléans, ayant lui-même joué du trombone dans ses jeunes années. Sur Nous les vivants, il a fait appel à Benny Andersson, du groupe ABBA, qui a composé le début du score. Ensuite vient de la musique académique allemande, puis une reprise d’une chanson populaire sentimentale des années 30, adaptée à la fois pendant un (mémorable) solo de guitare électrique et sur une marche.
Voilà mon tout premier Andersson. Je commence dans le désordre, puisqu’on a là le film central de sa trilogie des vivants, entamée avec Chansons du 2ème étage en 2000, puis « clôturée » en 2014, soient presque 15 ans plus tard, avec Un Pigeon perché sur une branche (…). Les guillemets sont de rigueur puisque son prochain film, About Endlessness (trad. A propos d’infinité), inspiré des Contes des mille et une nuits, pourrait bien acter une quadrilogie.
Un temps catalogué comme formaliste, Andersson est vu désormais comme un humaniste clairvoyant. « Nous sommes des créatures vulnérables. Vous pouvez nous observer à la fois avec tristesse, humour et peur », estime-t-il.
En 1998, le chef d’œuvre de Vinterberg, Festen, ne repartit de Cannes qu’avec le prix du Jury (ex-aequo avec le très bon La classe de neige de Claude Miller). Tout comme pour son La chasse dont on cause depuis un certain temps chez les givrés, on y parlait déjà de pédophilie. A l’acteur Ulrich Thomsen de porter alors sur ses épaules un rôle difficile, une mission qu’il accomplit avec brio, une performance qui, déjà, aurait dû aboutir à un prix.
Sans avoir encore vu La chasse, ce formidable trophée donné à « l’homme le plus sexy du Danemark » consacre joliment, et certainement avec pertinence, donc, Mads Mikkelsen.
L’acteur fétiche de NWR, Tony for life dans Pusher 1 et 2, enrichit sa brillante carrière de belles choses avec une constance qui l’honore. Le réalisateur de Bronson le lâcha pourtant après Valhalla Rising pour les beaux yeux de Ryan Gosling. Perdu qu’il fut dans les Highlands, il en rejeta peut-être la faute sur son double, ou du moins sa muse en pleine évaporation. L’heure de la séparation ? Hasard de projets incompatibles ?…
Même parti cachetonner aux USA, Mads y maintint une stature impeccable, un charisme scandaleux qui bien souvent occulta d’autres acteurs, d’autres personnages. On se souvient sans peine de ses prestations. Son rôle pourtant au taux de présence à l’écran faiblard dans Le roi Arthur de Fuqua en marqua plus d’un, il construisit là un personnage héroïque durable malgré, on l’imagine, une écriture légère du personnage en amont. Et cette imagination n’engage que moi. On attend de voir le toujours danois A Royal Affair, parait-il excellent ; on n’oublie pas le prix à Gerardmer pour l’allemand The Door (2009) dans lequel il tint le premier rôle, pas plus qu’on oublie ses prestations torturées chez Susanne Bier (After the Wedding, Open Hearts). Le bonhomme connait le Dogme par cœur, s’en moque même gentiment. « On n’arrêtait pas de tricher avec les règles du Dogme ! » avoue-t-il sans gêne, s’en allant ensuite jouer du cinémascope chez le scénariste de Bier, Anders Thomas Jensen, sur les trois seuls films qu’il réalisa à ce jour. Tous cultes.
Que dire d’autre ?… Il le mérite, ce prix, Mads. Avec une telle filmographie il pourrait même, à presque 50 ans seulement, faire office de récompense pour une carrière que d’aucuns rêveraient déjà de n’avoir accompli qu’à moitié. Pour lui les projets s’amoncèlent. Sur IMDb au moins quatre films en sa compagnie se profilent d’ici fin 2013. Même si mon petit doigt me dit que le meilleur se trouve derrière et que le monsieur n’a plus grand-chose à prouver, notre mercenaire aux choix judicieux et au talent constant reste très demandé à l’international. Pour ses fans et pour le ciné de genre j’espère découvrir encore quelques belles pépites avec cette star, digne descendant de Steve McQueen – plus talentueux, même, oserais-je dire – et cousin nordique de l’ami chinois Chow Yun-Fat. Parce que l’homme, qui attire tous les regards une fois entré dans le cadre, ne joue pas comme un manche. Malgré sa reconnaissance cannoise, Mads, virtuose du paraître, n’a certainement pas les doigts palmés.
Les médias nous en causent depuis un bout de temps : tous les grands de ce monde comptent se réunir ce lundi 07 décembre sur un sommet, au Danemark. J’ai cherché sur le net et mon ami Wikipedia me signale que dans ce pays – zappons le Groenland, qui y est rattaché et où la donne n’est pas vraiment la même – le point culminant se trouve à Møllehøj et s’y élève péniblement à 170,86 mètres d’altitude. Pour solennellement marquer cette glorieuse colline, les habitants de Møllehøj y ont placé une magnifique meule (photo). Pourquoi une meule ? Parce que ça caille là-bas, CQFD.
On imagine aisément les grands de ce monde – accompagnés de notre petit – se réunir autour de cette meule pendant le calendrier de l’avent, à Møllehøj, dans le Jutland-Central, pour y fumer un peu de chichon, pépères, en écoutant du Mickey 3D parce que, je cite : « il faut que tu respires, et ça c’est rien de le dire ». Gaffe à l’après.
Pour les Givrés, le Sommet de Copenhague, le seul, le vrai (soyons sérieux), c’est l’acteur danois Mads Mikkelsen. Nombreuses sont ses remarquables prestations toutes en compositions qui ont hissé quelques films moyens vers des hauteurs qu’ils n’ambitionnaient pas d’atteindre. Plutôt que d’en écrire 3 tonnes blindées d’adjectifs, observons-le à l’œuvre dans le chef d’œuvre Pusher 2 de notre camarade Nicolas Winding Refn, dans cet extrait à peine licite disponible sur Youtube :
16/20 – Y’en a un peu plus, j’vous l’mets quand même ?…
Ils sont deux, ils sont bouchers, ils sont verts : ce sont les bouchers verts ! Nos deux bouchers, Bjarne et Svend, vont les mettre doubles pour arriver à ouvrir leur propre boutique dans leur village et ainsi concurrencer leur ancien employeur : l’horripilant Holger. Un beau jour, évidemment, ils tombent sur un os…
Revenir sur ce chouette film est l’occasion de faire un p’tit point sur Anders Thomas Jensen, scénariste passé à la réalisation mais scénariste avant tout puisque, depuis 2005, c’est à dire depuis Adam’s Apple, il n’a rien tourné et préfère scribouiller pour les autres.
Jensen naît en 1972 à Frederiksvaerk, Danemark. A 40 ans à peine il dispose déjà d’une carrière bien remplie. Après quelques courts métrages à la fin des années 90, dont un, Election Night (Valgaften, 1998) qui obtient l’Oscar, et après s’être attaqué au dogme en écrivant pour plusieurs métrages, dont le Mifune de Jacobsen, il réalise trois bons films. D’abord Flickering Lights (Blinkende lygter, 2000), excellent malgré une légère filiation avec les films de Quentin Tarantino, puis nos Bouchers verts du jour (très frais, je vous l’conseille avec des p’tits oignons : De gronne slagtere, 2003) et Adam’s Apple (Adams aebler, 2005), tous avec Madds Mickelsen en tête d’affiche. Avec ces trois rôles complexes, assez éloignés les uns de autres, l’interprète principal de Pusher 2 démontre qu’en plus d’avoir un charisme certain il sait être un véritable acteur de composition. La particularité de ces trois films, sorte de trilogie de je n’sais quoi pour qui voudrait s’amuser à cibler une thématique commune (j’ai la flemme) est de faire se côtoyer un humour très noir, toutefois dénué de cynisme, et des tranches de vie dominées par des personnages gratinés, certes, mais tous à portée humaine. Comme des membres de votre famille à qui vous iriez rendre visite dans un asile de dingues, par exemple. Si, en Belgique, un film est arrivé près de chez nous, ceux de Jensen sont arrivés d’un peu plus loin, du Danemark, et la tonalité noire n’est pas tout à fait la même. Mais on s’en rapproche, tout en côtoyant, avec les Bouchers verts, notre frenchy Delicatessen, bien barré aussi dans le genre.
Depuis Adam’s Apple, Anders Thomas Jensen ne réalise plus mais continue d’écrire. On lui doit le scénario du formidable After the Wedding (Efter brylluppet, 2006), réalisé par Susanne Bier et interprété, une fois encore, par Mikkelsen le fou. On l’attend sur le gros film à venir At World’s End (Ved verdens ende, 2009), réalisé par un autre Jensen, Tomas Villum Jensen, avec les toujours bons Ulrich Thomsen et Nicolaj Lie Kaas en tête de gondole. On y reviendra.
Dans Les bouchers verts, ce dernier tient deux rôles : celui de Bjarne, le comparse de Svend (à gauche sur la photo, Svend est à droite), et celui de son frère jumeau, Eigil, un demeuré profond (au milieu sur la phot… ah non pardon). Ses interactions avec Mikkelsen sont jubilatoires, ces deux (pardon : trois) losers magnifiques nous gratifiant là d’un show mémorable dans leur course touchante à la gloire. La gloire du poulet à la chair de poule, du cochon en tranches, de l’humain en lamelles et du boucher heureux de voir ses gourmands de clients satisfaits.
Sans aucun lien de parenté avec Patricia, Jeppe Kaas suit toujours à la musique, avec bonheur car ses compositions collent parfaitement à l’univers de Jensen, ne soulignant pas tant l’humour des situations que les drames vécus par tous ces abimés de la vie. On s’amuse, on suit tous ces personnages avec intérêt, l’histoire recèle des rebondissements culottés et le final fait fi de toute morale grâce à un happy end qui, compte tenu des horreurs effectuées par nos vilains loustics, n’en est pas un du tout mais peu importe : l’empathie est totale et il n’y a pas de sentiment d’injustice. Les bouchers verts est un indispensable de la nouvelle vague du ciné de genre scandinave.
… Et je continue sur Morse, après avoir farfouillé un peu partout sur le net et dans la presse à la recherche de matière à son sujet, et après m’être enfilé le bouquin en anglais. Notez qu’il sera sans doute édité en France à l’occasion de la sortie du DVD.
Florilège de récompenses
Commençons par imposer l’œuvre, bardée de médailles.
Morse remporte tout un tas de prix un peu partout dans le monde avec, dans le désordre et sans être exhaustif : à Neuchâtel, en Suisse, le Méliès d’argent ; à Puchon, en Corée du sud, le Prix de la critique ainsi que celui du meilleur réalisateur ; au festival Fantasia à Montréal, au Canada, les trophées du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure photo ; et en Suède, sa contrée d’origine, 5 Guldbagge awards, les « scarabées d’or », Césars locaux : meilleur réalisateur, meilleure photo, meilleur scénario, un prix pour le son et un autre pour les décors. Aux USA, dans la grosse pomme, c’est la joie au festival de Tribeca où Robert De Niro remet en personne au réalisateur Tomas Alfredson le prix du meilleur film accompagné d’un p’tit chèque de 25000$. Terminons enfin avec notre hexagone, dans lequel Let The Right One In repart avec le Grand Prix et le Prix de la Critique au festival du film fantastique de Gerardmer.
Et Tomas Alfredson rencontra Oskar…
Fils d’acteur, le réalisateur Tomas Alfredson naît le jour d’une grosse blague, le 01er avril 1965. Ceci explique peut être son intérêt pour la comédie, un genre qu’il illustre dès 1999 à la télévision avec un groupe célèbre de comiques suédois : les « Killingganget ». L’humour franc du show évolue avec Alfredson vers quelque chose de plus dramatique, de plus austère, en résulte l’appellation « Brown comedy » créée pour l’occasion, un « humour marron », donc, qui a le mérite d’annoncer la couleur à des détracteurs qui se font sans doute une joie d’y ajouter l’odeur. L’aboutissement de cette période en est le film Four shades of brown (Fyra nyanser av brunt), réalisé par Alfredson en 2004, qui obtient déjà le « Guldbagge award » du meilleur réalisateur. [ Aparté : et si écrire « guldbagge » est amusant, le dire est encore plus fun ! ].
Versatile, Alfredson touche à tout, au théâtre en particulier, puis tombe sur Morse un peu par hasard. Il lit en 2005 ce Best seller suédois paru en 2004, et parce que l’histoire a lieu en 1981 et que le personnage principal, Oskar, lui rappelle beaucoup ses propres souvenirs, Alferdson décide d’adapter l’écrivain John Ajvide Linqvist au ciné. A ce dernier d’expliquer à notre loustic né un 1er avril ce qu’est un vampire, chimère dangereuse d’une mythologie qu’Alfredson ne maîtrise absolument pas. Son challenge : rendre crédible une histoire fantastique avec un contexte voulu très réaliste.
De Blackeberg à Lulea, en passant par Rotterdam
Nous sommes au début des années 80, tout là-bas là-bas dans le nord, à 1840kms au nord de la ville ch’ti Bergues, à Blackeberg très exactement, banlieue de Stockholm.
Si quelques plans furent bien tournés à Blackeberg (la station de métro, l’escalier menant à l’arbre duquel Eli tombe sur sa proie), ceux autour du pont le furent à Racksta, à côté, et la majeure partie à Lulea, tout au nord du pays, afin de garantir un froid nécessaire et, surtout, une présence garantie de la neige, actrice au rôle primordial dans le métrage. Les inserts et gros plans furent tournés en studio.
La neige étant l’élément clef figurant la douceur et la tendresse, ton souhaité pour raconter cette romance fantastique, le directeur de la photo Hoyte Van Hoytema, hollandais de Rotterdam, dut s’acharner à la rendre aussi belle qu’elle l’est dans le film. Pour ce faire, avec Alfredson il inventa la technique du « spray light », une « lumière électrique capturée et diffusée dans l’appartement d’Eli » dixit Alfredson. Elle rend douce une lumière habituellement utilisée pour accentuer une tension, l’énergie, la folie, l’énervement. Pour un cadre urbain, bien souvent. Là, paradoxe, une constante liée à l’hyper activité est utilisée pour rendre compte d’une douceur. Une douceur menaçante, le calme avant la tempête.
S’inspirer de Gabriel faudrait !
Pour la bande originale, Johan Soderqvist eut les mêmes impératifs : « accentuer le romantisme et la tristesse plutôt que la violence ». Peu de morceaux illustrent les scènes d’angoisse et davantage étayent toutes celles d’ordre mélodramatique. Tomas Alfredson conduisit Soderqvist sur la piste du compositeur Gabriel Fauré. A l’écoute, son célèbre « Pavane » semble avoir été non pas pompé mais très joliment décliné, en effet. Peu avare en louanges sur Soderqvist, Alferdson le complimente ainsi : « Cela ne me dérangerait pas que le roi de Suède demande à Johan de composer un nouvel hymne national pour la Suède ».
Dans la continuité, si le directeur du son Per Sundström utilisa des bruits d’animaux pour représenter le vampire Eli en action, son plus gros travail consista à rester au plus près des enfants, à retranscrire leur respiration, le frottement de leurs vêtements, leur déglutition, ce pour accentuer l’importance, à leurs yeux, de cette proximité certes platonique mais renforcée par des signes multiples d’affection. Il s’agissait de représenter la douceur et la tendresse, une nouvelle fois.
De « Barnens ö » à « Let The Right One In » ?
Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir ce film suédois signé Kay Pollack, Barnens ö, mais sa réalisation au début des années 80, cette histoire de l’errance à Stockholm d’un jeune enfant blond livré à lui-même et, surtout, cet extrait ci-dessous font que, voilà, on a là manifestement une inspiration majeure de John Ajvide Lindqvist pour son bouquin et, c’est plus flagrant, de Tomas Alfredson pour son adaptation. Cette anecdote fait de ce film une vraie curiosité mais pas seulement. A en croire quelques avis trouvables sur le net, Barnens ö est également une très bonne péloche. A voir.
Les enfants du paradis
Pour trouver les bons acteurs capables d’incarner au mieux Oskar et Eli, le casting dura un an, durée pendant laquelle la priorité fut de trouver un couple complémentaire plutôt que deux acteurs indépendamment idéaux. Schématisons : elle est brune aux yeux noirs, lui est l’archétype suédois : blond aux yeux bleus.
Comme d’autres, Alfredson imagina d’abord des animaux pour représenter les caractères de ces deux individus. Joué par Kare Hedebrant, Oskar est une chèvre, et Eli, interprétée par Lina Leandersson, un chien. Pour rendre plus mature une actrice qui ne l’était naturellement pas, une autre jeune actrice à la voix plus grave – qui, fait cocasse, se prénomme « Elif » – doubla Miss Leandersson. Vous pouvez vérifier ici la vraie voix de l’actrice : normale, claire et aiguë. Celle d’une jeune fille de 12 ans. De la belle tricherie.
Le plan du bas ventre nu d’Eli fut effectué à l’aide d’une poupée. L’objectif pour Alfredson était de montrer qu’Oskar, encore pré adolescent, se fichait complètement du corps de son ami(e).
La pédophilie a été évoquée avec les jeunes acteurs, au fait de cette réalité par le biais d’une actualité qui n’en fait plus du tout un sujet tabou. Prévention oblige, les parents furent régulièrement consultés et les enfants impliqués, non pas intellectuellement mais à l’aide de jeux ponctuels. Ils ne lurent pas le scénario avant de jouer.
Du roman au film, en passant par quelques étiquettes facultatives
Si l’on doit coller une étiquette au roman, admettons qu’on a là une sorte de nouveau Stephen King. Si l’expression est plus que galvaudée, elle est cohérente avec cette histoire faite d’un jeune garçon un peu marginal s’en allant devenir plus fort par la grâce d’un élément fantastique. De Christine à Carrie en passant par, surtout, Les vampires de Salem, aux nombreux points communs, ce thème a été largement abordé par notre célèbre américain. Le style du roman n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de l’auteur de Ca : simple, fluide et généreux en nombreux personnages bien construits. Le film respecte totalement la description des personnages principaux mais se permet de sacrés ellipses : de pédophile odieux Hakan devient juste un tu(t)eur mystérieux et sa résurrection en zombi bandeur fou est zappée au profit d’une mort aussi gore que poétique. Globalement les élans trash du livre ont été évincés, avec bonheur car le film est mieux que le livre puisqu’il coupe largement dans la dernière partie du roman, trop longue, pour n’en conserver que le principal. Le scénario étant signé de l’auteur du livre, n’y voyons là aucune trahison mais plutôt une légère relecture, une ré interprétation nuancée des choses, très respectueuse de son spectateur puisqu’elle fait autant appel à son imagination qu’à son intelligence. Quand on pense qu’un scénario avec de tels trous a obtenu des prix, ça laisse rêveur ! Gageons qu’à Hollywood une batterie de script doctors auraient été dépêchés d’urgence pour combler les vides.
Dans le livre, Eli est un vampire d’un peu plus de 200 ans, un jeune garçon castré condamné à devenir une victime pour l’éternité en même temps qu’un monstre (presque) invincible. Un vampire. Si les reflets sont bien là, contredisant ainsi la mythologie générale du nosferatu voulant qu’il n’apparaisse pas dans les miroirs, la lumière du jour lui reste fatale. En parlant de reflets, notez que celui à la fin du film que nous renvoie le miroir du mur de la piscine révèle un gros bug, à savoir toute l’équipe en train de tourner ! La scène se passe lorsque les loustics arrivent pour embêter Oskar une ultime fois… Revoyez la, c’est amusant. Mais très anecdotique et, surtout, non rédhibitoire.
Du côté d’Alfredson et de la réalisation, osons rapprocher le monsieur de John Landis qui, tout comme lui, commença par mettre en image des comiques US comme les ZAZ (The Kentucky Fried Movie) ou encore les zozos du Saturday Night Live (American college, The Blues Brothers) avant d’embrayer avec le genre fantastique (Le loup-garou de Londres). Non sans humour d’ailleurs, ce qui est le cas aussi ici, avec un tueur bien pathétique, Hakan, qui peine à égorger un jeune homme et qui, surpris dans sa tâche honteuse, s’enfuit tout penaud avant qu’un caniche s’en vienne lécher le sang de la victime. Idem en fin de parcours : le massacre dans la piscine est d’un grand guignolesque « achevé », c’est le cas de le dire. L’humour n’est pourtant pas appuyé, au contraire, parfois la musique de Soderqvist préfère souligner de façon dramatique un passage d’aspect grotesque. C’est le cas lors de la découverte d’un cadavre coincé dans la glace et sorti tel quel, à moitié dans un glaçon, le visage crispé… Un Bontempi à la Brain Dead de Peter Jackson aurait orienté la scène vers le tout autre registre du gore ouvertement risible.
Et pour quelques subtilités de plus…
On aurait tort de rabaisser un tel film, un tel réalisateur, à ces seuls caractéristiques dramatiques et comiques. Alfredson est un gars subtil. Plus une scène se passe de dialogues, plus jouer sur d’autres moyens de communication peut amener à un bien meilleur feeling de la part du spectateur (c’est à dire moi). Ceux qui en ont conscience et savent en jouer font bien souvent partie des meilleurs, les exemples abondent dans Morse et Alfredson, au détour d’une interview, en suggère d’autres.
Attachons-nous aux relations familiales d’Oskar. Son père, bien que peu présent dans le film, y a une réelle existence. D’abord par les yeux et le ressenti d’Oskar, ensuite par ses quelques mimiques désabusées, sa tristesse prégnante. La plus belle envolée lyrique de Soderqvist, son thème principal, voit son apogée lors de la visite de l’enfant chez son paternel. Cela ne concerne pas la trame principale, c’est purement annexe, pourtant ce passage sera l’un des plus émouvants du film. Un travelling arrière suit Oskar sur son petit scooter des neiges. Il sourit. Oskar existe là davantage, il est plein de vie et notre empathie à son égard se développe à vitesse grand V. Nous sommes prêts pour la suite, totalement impliqués dans l’existence de ce petit bonhomme. La mère aussi a droit à sa scène de communication sans parole, l’espace d’un brossage de dent collectif, d’un concourt de grimaces improvisé entre elle et son fils. Bien que séparés, l’enfant trouve une part de bonheur chez l’un comme chez l’autre, ce qui ne l’empêchera pas de les quitter en fin de métrage, sans aucune rancœur, aucun rejet. C’est un choix qu’il fait.
Restons dans ce registre du feeling assez fin, nuancé. Au début du film, Oskar est seul dans sa chambre. Il rumine des désirs de vengeance en découpant des photos morbides dans un journal. A cet instant il écoute un morceau de rock qu’il aime beaucoup. C’est le sien, son morceau, il l’accompagne dans un moment d’intimité assez fort, une solitude dont il a besoin. Aux trois-quarts du film il réécoute ce morceau, cette fois avec Eli, la (le) vampire. Sans lourdeur, sans explication balourde ni transition pesante on comprend qu’Eli fait désormais partie de l’univers d’Oskar. Elle a été complètement adoptée, fait partie des meubles, de son intimité, de sa vraie vie.
J’ai lu une anecdote intéressante, racontée par Alfredson en personne, qui explique assez bien l’approche du monsieur quant à la naissance de ce type de scène. « Imaginez : une femme reçoit un coup de fil de son docteur. Il lui annonce qu’elle a un cancer fatal. Dans la plupart des films la femme conduirait sa voiture, s’arrêterait après avoir pris connaissance de la nouvelle, regarderait la mer par la fenêtre puis se mettrait à pleurer. Moi ,je préfère placer la scène lors d’une fête pour enfants. Elle, déguisée en clown, peinerait d’abord à entendre la docteur au téléphone, puis, ensuite, comme elle ne pourrait pas se cacher ou pleurer devant les enfants, elle continuerait bêtement à faire le clown… Ainsi va la vie. »
2010, l’Odyssée du remake et de l’espérance
En 2010 devrait sortir un remake US de Morse, réalisé par Matt Reeves (Cloverfield). Même si Tomas Alfredson appréhende un peu le résultat, de son côté il est déjà passé à autre chose : il a produit une comédie musicale sur les planches, une reprise de My Fair Lady, à Stockholm. Ca a cartonné. Il promet une autre pièce, une comédie avec, dit-il, « un peu de fantastique dedans ». On aimerait toutefois que sa versatilité l’oriente assez rapidement vers une nouvelle pelloche de qualité.
Sur ce, je termine tout comme le film : avec du code morse, option suédois.
. _ _ . / . . _ / . . . / . . .
… ce qui signifie « puss » en suédois. En français : « bisou » !
Sources : Wikipedia, Imdb, Aintitcool, Twitchfilm, Mad Movies