Men & Chicken (Anders Thomas Jensen, DK, 2015)

À la mort de leur père, Elias et Gabriel découvrent qu’ils ont été adoptés et que leur père biologique, Evelio Thanatos, est un généticien qui travaille dans le plus grand secret sur une île mystérieuse. 
Malgré leur relation houleuse, ils décident de partir ensemble à sa rencontre. Arrivés sur cette île éloignée de la civilisation, ils vont découvrir une fratrie étrange et des origines inquiétantes.

Des sourires et des paumés

Le gars n’avait pas réalisé depuis 10 ans. Adam’s Apples, Grand Prix et Prix du public au BIFFF 2006, excusez du peu. Des oscars pour ses courts, les chouettes scénarios de Susanne Bier… bref, je ne va pas le présenter une énième fois sur ce blog.

Mads Mikkelsen l’aime et revient volontiers, malgré son statut de star international, pour jouer un rôle d’une ingratitude intersidérale. Il défend à ce point l’univers si particulier de l’artiste bec (eh, eh) et ongles que cette fidélité en devient davantage que respectable. Amicale.

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Jensen nous revient en grande forme avec une sorte de mélange – c’est danois – entre du Bergman et les Monthy Pyton – si, si – doté d’une ‘tite louche Lovecraftienne sur la fin. Le tout s’inscrit sans pousser dans la logique de la filmo du mec.

Fendard, émouvant, bien foutu, avec des vfx gonflés et un twist – le réal’ est balèze en chutes, remember à peu près tous ses métrages – qui vous refait penser à plein de scène et poiler encore plus. Un défaut, un seul, tout petit léger, vouloir parfois faire la nique à Klovn, le film, un truc too much qui a cartonné là-bas, et montrer aux vikings qu’il en a encore dans le pantalon. Il se sent vieillir. Du coup, il en fait parfois un poil trop dans la provoc’ et donne un coup de coude inutile aux mauvais côtés d’un Lars Von Trier et de ses Idiots.

Les Monthy Pyton ? Pour Le sens de la vie, Bergman pour son île de Faro à laquelle j’ai pensé, ainsi qu’au fantôme de Liv Ullmann, qui pour ma part a hanté le film, même si Jensen parle plus volontiers de L’île du Dr Moreau. Mais lui et Mikkelsen avaient à une époque tellement les excès du Dogme dans le collimateur – les délires familiaux de type Festen ou autre sont bien moqués ici – qu’ils en profite pour tacler en bande la secte familiale de Bergman… tout en poursuivant ses turpitudes quant à la religion et ses délires existentialistes. C’est que ça tue le père à tout va, là-bas !

Délivrance (Hans Petter Moland, DK, 2016)

Une bouteille jetée à la mer, repêchée et oubliée dans un commissariat des Highlands. A l’intérieur, un appel au secours écrit en lettres de sang et en danois. Lorsque le message échoue au Département V de la police de Copenhague, chargé des dossiers non élucidés, les années ont passé… L’imprévisible Carl Mørck, Assad, son assistant syrien au flair infaillible, et Rose, leur secrétaire, vont-ils prendre au sérieux ce SOS ?

Quand Nikolaj Lie casse du serial Killer

Il est triste de voir arriver ce troisième opus, le meilleur à ce jour, directement dans la case e-cinema, car sa place est dans les salles. Tout le monde s’en rendra compte en découvrant la (belle) bête sur sa tablette. Wild Side n’est pas à blâmer – merci déjà à eux de nous la présenter – ; simplement, le marché est actuellement d’une cruauté impitoyable. Intégré dans la narration sur au moins deux morceaux de bravoure, le Jutland danois nous est dévoilé de toute son étendue plate qui rappelle parfois, en plus lumineuse, notre grise Beauce vue par ailleurs récemment dans le très beau Les premiers, les derniers du Belge Bouli Lanners (c’est du bon).

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Carl Mørck, le flic hard boiled made in Copenhagen

La trame, issue du bouquin de Jussi Adler-Olsen, joue sur la corde usée de ces serial killers aussi géniaux que sadiques que de courageux policiers peinent à appréhender en plus d’y perdre une partie de leur âme. Au cinéma, Le 6ième sens (Michael Mann), Le silence des agneaux et autre Seven – cité le temps d’un très beau plan aérien à la fin – dominent le bal, mais il faut avouer que les séries ont depuis marqué le genre d’une empreinte notable, stockée avec soin dans un petit sac en plastique enregistré au registre des preuves. Ainsi, ajoutée aux métrages susnommés, Délivrance apparaît comme une très belle excroissance nordique à True Detective (USA) et Red Riding Trilogy (UK), que beaucoup s’accordent à définir comme des chefs d’œuvres télévisuels. Le film de Hans Petter Moland (Refroidis) trouve sa place entre les deux médias. De beaux moments de cinéma défilent, tandis qu’une impression « cut » TV se fait parfois sentir sur certains enchaînements de plans. Il n’empêche que l’équipe s’en sort avec les honneurs : le scénario tiré du livre garde l’essentiel en plus de se focaliser sur un point de vue, celui de Carl Mørck, le héros.

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Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Tu crois que le colza ?…

Encore une fois, un beau film danois illustre la Bible, plus spécifiquement le Livre de Job, après les nombreuses autoflagellations du dogme des LVT (Breaking the Waves, Dancer in the Dark), Thomas Vinterberg (Festen, La chasse), Susanne Bier (After the Weading) et même – surtout ? – Anders Thomas Jensen, dans son formidable Adam’s Apples. En passant : son dernier film, Des hommes et des poulets, arrive dans l’Hexagone en mai et bénéficie également de Nikolaj Lie Kaas (NLK) en tête de gondole. Parlons-en, de cet acteur de composition – et de compétition – car enfin on le laisse s’exprimer ! Il est souvent placé au second plan derrière Mads Mikkelsen, mais il est en train de gagner du terrain, de minimiser l’écart depuis son jeu tout en nuances, en subtilités. Sur des scènes déjà subies mille fois – le trauma du flic qui ne s’est jamais remis d’un échec, le vilain qui l’appelle sur son portable pour le provoquer – il nous propose un répertoire inédit et bouleversant qui émeut franchement jusqu’aux larmes. Il apporte une dimension humaine jamais vue à son personnage pourtant archétypal. Et lorsque sa foi revient après des mois d’immersion folle dans un athéisme exagéré, mal vécu et trop délétère, il ne plonge pas à 100% dans les supposées vertus de l’Église luthérienne ; il s’y lâche juste un peu, à la fois pour respirer et pour, enfin, respecter les croyances des autres – très bon équilibrage de Farès Farès – , sans toutefois se leurrer quant à une institution qui a fait naître, à la manière d’un Da Vinci Code – dans la suite duquel NLK a joué -, le mal. A NLK de nous faire ressentir tout ceci en seulement quelques secondes !

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Laissez venir à moi les petits enfants…

Incarné à la perfection par le norvégien Pål Sverre Hagen (Kon-Tiki), le diable du jour est l’un des plus vicieux jamais montrés. Un meurtre aux ciseaux est voué à rester dans les annales, tout comme l’était la torture à coup de ballon de basket dans le précédent Profanation. La perversion s’exprime très correctement dans cette saga. Le tueur domine une superbe poursuite démoniaque dans un hôpital, nous gratifie d’une scène de sexe foireuse, odieuse et inédite avec sa compagne de passage – sa logeuse – qui paiera cher ce concubinage, et l’affrontement final avec gamin interposé relève d’un gouffre de noirceur abyssal où tous menacent s’y noyer. Étrangement, malgré le nihilisme du propos, au film de se clôturer par quelques notes optimistes, dans l’air du temps. Elles font du bien… et elles font mal, car du haut de notre laïcité proclamée toute française, de notre prétendue ouverture d’esprit érigée en exemple mondiââl, de voir ce film danois proposer un ton juste, incarné par un arabe barbu profondément pacifique, afin que toutes les différences coexistent sans trop qu’on se mette sur la tronche, c’est ce qu’on appelle, là, montrer l’exemple. En descendant une marche, celle d’une tolérance souvent trop verticale pour être véritablement honnête. Le réalisateur égyptien Youssef Chahine conspuait ce mot, « tolérance », pour cette même raison.

Très bon film, que j’ai déjà envie de revoir. Vivement la suite. Notons un score paisible au piano assez plaisant de Nicklas Schmidt (Ronal le barbare).

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La religion et ses paradoxes.

Voir également mon itw avec l’interprète d’Assad, Farès Farès, et Mikkel Nørgaard, réalisateur des deux premiers films, Miséricorde et Profanation.

L’heure du loup ; Vargtimmen (Ingmar Bergman, Suède, 1968) : avis d’un givré

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Johan Borg, peintre, et sa femme, Alma, s’établissent sur une île. Tous deux vivent là, isolés du monde. Un jour, Alma, sur les conseils d’une vieille dame sortie de nulle part, ouvre le journal intime de son mari. Elle y découvre ses fantasmes et les cauchemars qui hantent ses nuits.

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Tout comme pour La source, que dire de plus de L’heure du loup que ce que l’on en trouve déjà sur la toile, dans les magazines, les thèses qui traînent à gauche, à droite, et surtout ce bouquin, « Images », une bible dans laquelle Bergman dévoile tout et plus encore, sans fard, sur ses œuvres ? Et sur lui. Mon ressenti ? Il est le même que celui décrit en quelques justes mots par l’excellent – et regretté – réalisateur Claude Miller sur l’édition DVD de chez Opening, à savoir que le film préfigure Shining avec cette même description de la difficile vie de couple des artistes, les vrais, les torturés. L’heure du loup, c’est à la fois l’instant de la perversité, la nuit, où les démons s’éveillent, celui tout innocent de la naissance d’un enfant, et l’heure de vérité pour un Bergman qui décide, en quête d’une certaine forme de rédemption,  d’affronter le miroir, de combattre ses démons en choisissant de les nommer un par un, de les concrétiser, de les définir, les connaître pour les accepter d’abord pour ensuite les répudier ou tout du moins les dompter, ce que, j’imagine, explicite la suite de sa carrière. Parti de sa fameuse île de Faro où il règne tel un gourou avec son équipe, encouragé par la réussite de son film précédent, Persona, il se jette à l’eau sans bouée, sans trop savoir nager, pour, porté par le courant, revenir sur cette même île, son paradis, son enfer, comme un naufragé cette fois. A poil, épuisé, au bout du rouleau de la vague, via son alter ego qu’il secoue, Max von Sydow, il se montre sans tricher comme un loup garou faiblard au réveil se rendrait compte qu’il a encore un bout de chair fraîche entre les dents. Son couple précédent a coulé, un autre naît, une autre enfant va venir au monde. « J’ai plusieurs enfants que je connais à peine ou pas du tout. Mes échecs humains sont remarquables » constate-t-il dans sa bible. Alors il doute, se remet en question, confesse à son public plutôt qu’à un curé ou un psy des pulsions homosexuelles, pédophiles, des envies de meurtre, d’adultère, des péchés qu’il envisage, certains fantasmes, ses peurs. A Claude Miller de dire encore qu’il nous pose aussi cette question, frontalement : « Suis-je seul dans ce cas ? Toi, dans ta tête, tout va comme tu veux, tu en es bien certain ? ». L’expression galvaudée « sans concession » prend ici sa pleine mesure.

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Après « Les yeux sans visage », « Le visage sans yeux » ! Il n’a rien inventé, ce Bergman.

A moi, en 2013, de m’accaparer ce film, d’y trouver les résonances qui m’intéressent, me parlent. Si en son temps on parlait volontiers de passages felliniens pour décrire les cruelles et terrifiantes échappées oniriques, outre Cocteau j’ai clairement pensé à Bava (Mario) ou autre Franju devant ces horribles vignettes cauchemardesques disséminées ça et là en noir et blanc. Quant à l’étouffante scène du repas, un Festen saura s’en rappeler pour nier un odieux passé à grand renforts de rires à ce point faux qu’ils en deviennent  tout autant démoniaques, comme ceux qui hantent la filmographie d’un David Lynch. Toujours est-il qu’en voyant ce que Bergman inflige à son acteur, Sydow, les risques qu’il prend avec ce scénario qu’on devine parfois improvisé, ce mélange des genres, cette recherche sur soi, ce sens du cadre, ce film qui déçoit des critiques avant de devenir classique, c’est Nicolas Winding Refn qui s’impose tout naturellement. Mikkelsen et Gosling sont d’autres alter ego évidents. Un viking ensanglanté erre sans but dans les Highlands de Valhalla Rising comme notre peintre fait les mille pas sur son île ; la paternité à venir taraude Bergman comme Refn dans Bleeder, et à d’autres démons abjectes de triturer un américain perdu à Bangkok dans le puissant Only God Forgives.

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Après « Le visage sans yeux », « Le visage sans visage » !

L’heure du loup n’est pas parfaite, la trotteuse n’avance pas régulièrement, le pied de l’horloge est bancal et la poussière n’a pas été faite sur le bois depuis fort longtemps. Mais comme le dit Bergman lui-même, voilà « un pas chancelant dans la bonne direction », une étape nécessaire pour passer à la suivante. Certains adeptes du ciné de genre diront peut-être que ce qui suivra n’aura pas le même impact que cette péloche là, cet entre-deux qui finalement eut une existence propre, fit office de souvenir à ne pas renier ; et ils sauront aussi se rappeler qu’un certain Bo Arne Vibenius assista le maître sur ce film-ci – et Persona – avant de s’en aller réaliser les dingueries Thriller et Breaking Point quelques années plus tard, sans l’emprise de tabous luthériens. Comme si un Bergman réincarné, soulagé et encore plus fou, s’en était aller suivre ses démons d’un pas plus guilleret et nettement moins chancelant, le braquemart pointé fièrement vers le ciel, bien décidé à baiser quelques morts afin de nous ressusciter, nous, voyeurs endormis.

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Le second plan en a deux. Des yeux. Sur un visage.

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Liv Ullmann. Attraction touristique de l’île de Faro à elle toute seule.

 

Beaune Polars 2015 : Givré au rapport !

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— C’est là Beaune, t’es sûr ?

Rhaaa, la paperasse ! Faut bien y passer. Après l’action, le rapport eu’d’police. On a tiré à la courte-paille entre moi et moi et devinez qui a perdu ! Ce sont toujours les mêmes qui scribouillent.

J’ai mené ma petite course entre ma casquette asiat’ pour les besoins de Cinemasie – et ceux de mon doublon perso Asie Bonanga – et mon bonnet de givré. Ça rend un peu schizo mais cette folie douce n’est pas désagréable au demeuré. L’entretien avec le réalisateur Mikkel Nørgaard et Fares Fares (Miséricorde, Profanation) est déjà en ligne et un peu plus bas le prof à Nation (Paris) cause Profanation au profane. J’en profite pour signaler que je soutiens les adeptes et que, donc, je me sens moi-même pro-fan.

Brave Men’s World / Borgríki 2 (Olaf de Fleur Jóhannesson, Islande, 2014)

Déterminé à faire tomber l’un des plus importants syndicats du crime du pays, Hannes, l’ambitieux chef du département des Affaires intérieures de la police de Reykjavik, décide d’ouvrir une enquête sur l’un de ses lieutenants qu’un ex-baron du crime, aujourd’hui derrière les barreaux, a dénoncé comme étant particulièrement corrompu. Il met sur l’affaire une ancienne de la brigade des Stups à qui il demande de surveiller, sous couverture, les faits et gestes de son collègue. Pensant pouvoir faire ainsi coup double en confondant le policier et en arrêtant l’actuel chef du crime organisé, Hannes s’engage alors sur une voie des plus dangereuses…

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Ce film est une suite qui se veut indépendante du premier opus – pas vu – dont un remake fut un temps annoncé sous la férule de James Mangold par le biais d’une rumeur sur la toile.

On démarre plutôt bien avec cette histoire d’un flic recalé chez l’équivalent local du GIGN en raison de ses pauvres performances physiques et qui, par dépit, décide d’incorporer les bœufs carottes, la police des polices. A partir de là, la narration part malheureusement en sucette. On se met à suivre d’autres personnages, des flashbacks maladroits cassent le rythme en même temps que l’empathie et les emprunts gênants à la trilogie Stockholm Noir – adapté avec Snabba Cash et ses suite – font tâche. On se raccroche au tonfa avec quelques scènes violentes surprenantes et un flic ripoux formidablement démoniaque malgré une fin un chouia puérile qui fait du tout un énième sous-Parrain du pauvre, dominé par la star locale Ingvar Eggert Sigurðsson (Jar City). La mise en scène post-Greengrass, mal digérée, n’aide pas. C’est dommage, les acteurs sont formidables et méritaient mieux.

Hrafnkell Stefánsson

Hrafnkell Stefánsson, scénariste.

J’ai pu échanger quelques mots avec le co-scénariste Hrafnkell Stefánsson ; je lui ai parlé d’un autre film islandais Black’s Game et lui ai demandé s’il y avait vraiment une mafia à Reykjavik, une toute petit ville qui, pour y avoir été (et croisé Harrison Ford main dans la main avec Calista Flockhart, ça remonte), ne semble pas abriter un tel empire du crime. Il m’a répondu, d’un œil un brin parano que cet univers était sous-terrain, invisible à l’œil nu. Et qu’il n’y ait, justement, pas tant de monde en Islande fait qu’apparemment beaucoup se connaissent. La corruption est dès lors difficile à cerner quand tout le monde connaît tout le monde. A la question : « qu’avez-vous contre les femmes ? » – parce qu’elles encaissent méchamment dans ce film – il répond en rigolant que les actrices se sont éclatées à tourner les scènes de meurtre. Bref, ces réponses légères donnent une touche sympathique à ce petit film et, surtout, à tous ces artisans à qui l’ont aimerait donner un cadre plus solide ainsi qu’une seconde chance.

Une seconde chance (Susanne Bier, Danemark, 2014)

Policiers et amis, Andreas et Simon ont pourtant des vies bien différentes. Alors qu’Andreas vit une vie simple avec sa femme et son fils, Simon, qui vient de divorcer, passe la plus grande partie de son temps au bar du coin. Tout va changer quand ils vont devoir intervenir chez un couple de junkies en pleine dispute. Andreas trouve dans l’appartement le bébé du couple et se retrouve alors face à un dilemme…

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C’est un bon Bier et un excellent ATJ (Anders Thomas Jensen) au scénario – remarque d’ailleurs soulignée lors de la remise du prix du Jury par Danièle Thompson elle-même, qui a insisté sur l’écrit, à ses yeux remarquable. A n’en pas douter, il l’est, mais lorsqu’on connaît le loustic on voit venir les étapes, on décèle l’ossature de la torture mentale qu’il nous a mijotée et l’on anticipe presque tous ses coups. « Presque » parce qu’au moins deux rebondissements valent franchement le détour. Je suis partagé, arrivé en bout de course, entre cette impression d’avoir assisté à une formule appliquée jusqu’au grotesque, qui montre ses limites, et cette autre d’avoir assisté à un show qui relève du génie, soutenu par une multitudes de performances d’acteurs à couper le souffle. Nicolaj Coster-Waldau figure bien le père usé jusqu’à la corde – on comprend ses actes -, Nikolaj Lie Kaas compose un père indigne aussi consternant qu’hilarant, Ulrich Thomsen souffle un peu – pour une fois – en jouant un personnage annexe – mais subtil – en renfort, quant au casting féminin, il est brillant. On sent que le scénario écrit par un homme, père de surcroît, se complète dans une réalisation féminine qui partage son point de vue mais aussi ceux des deux femmes incarnées par Maria Bonnevie – la mère, Anna – et cette autre mère, Sanne, jouée May Andersen, une ex-mannequin aussi sexy que la Julia Schacht de The Next Door – et salement « fappenée » sur la toile – à qui ce rôle convient un peu trop bien.

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Qui interroge qui ?…

Comme d’habitude on en vient à aimer tous les personnages, on leur pardonne tout. On se prend en frontal un drame à l’inéluctabilité cette fois proche d’un Lars Von Trier – salaud ! – et, ensuite, on discute. Si les propos et les actes sont violents, on retrouve cette propension du duo Bier/ATJ à prôner la paix en fin de métrage. La formule, qui souffle le chaud et le froid, est manifeste, odieusement roublarde, si peu regardable pour un père ou une mère qu’on en vient à chercher un second degré diffusé avec parcimonie par les auteurs. Psychologiquement, les acteurs encaissent comme au bon vieux temps sacré du dogme, ce dont un Mads Mikkelsen se moquerait sans doute sans toutefois le profaner.

Profanation (Mikkel Nørgaard, Danemark, 2014)

En 1994, un double meurtre défraie la chronique. Malgré les soupçons qui pèsent sur un groupe de pensionnaires d’un internat, la police classe l’affaire, faute de preuve. Jusqu’à l’intervention, plus de vingt ans après, du Département V, celui de l’inspecteur Carl Mørck, et Assad, son assistant d’origine syrienne, spécialisés dans les crimes non résolus. Ensemble, ils rouvrent alors l’affaire qui les amène à enquêter sur l’un des notables les plus puissants du Danemark.

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Le 1er a déjà été succinctement évoqué par-là, le seconde mérite à mes yeux un peu plus qu’on s’y attarde. Bien que putassier, dans la veine d’une adaptation d’un polar populaire comme le binôme ordurier L’empire des loups de Jean-Christophe Granger / Chris Nahon, que j’aime bien, on s’éclate devant ce spectacle volontairement schizophrène qui joue avec les codes hard boiled pendant l’enquête et ceux du drame amoureux lors des flashbacks. Beaucoup de polars font de même en jonglant entre le point de vue du flic et celui du tueur ou de la victime. Personnellement, je préfère lorsque l’on suit un gusse de A à Z et que la caméra lui colle à la nuque mais chacun voyage. En l’occurrence, l’adaptation en scénario – ils s’y sont mis à deux – optimise bien les enjeux. La musique de Johan SöderqvistMorse – tutoie Zimmer pendant le polar, très fun grâce ses excès, et devient plus inspirée sur le très beau mélo que filme très bien Mikkel Nørgaard. La magnifique actrice Sarah-Sofie Boussnina, qui joue la « jeune » Kimmie, a des arguments qui justifient qu’on trouve là sa muse. On critiquera la trame qui, après tout, ne fait que reprendre celle du bouquin ; une histoire qui pourrait illustrer un épisode tv de Cold Case – encore un – voire même un vieux de 21 Jump Street parce que ça me rappelle quelque chose tout ça…

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On s’en fiche : le tout tient surtout avec les deux personnages principaux, Assad et Carl, respectivement joués par Farès Farès et Nikolaj Lie kaas, aidés cette fois d’une pertinente secrétaire. Limitée par son matériau, c’est une réussite nettement plus aérée que le 1er opus – le réalisateur, malin, s’en explique très bien dans notre interview – mais l’on ne peut s’empêcher de se dire qu’un format TV plus long aurait permis à tous ces personnages, incarnés par de très bons acteurs, de davantage exister. Ajoutons qu’avec ces cassages de nez, le clin d’œil tuméfié au Chinatown de Polanski me rappelle cette question de Georges Miller posée à ses producteurs pendant le tournage des Sorcières d’Eastweek : « Pourquoi tenez-vous absolument à ajouter des effets spéciaux quand vous avez Jack Nicholson sous la main ? ». La remarque peut sans peine s’appliquer au protéiforme Nikolaj Lie Kaas sur lequel Nørgaard aurait davantage encore du s’appuyer. Son jeu et son charisme relèvent d’une mine d’or, d’un filon à exploiter jusqu’à épuisement.

Traquenard !

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Piège typiquement Beaunien : coller une pièce de 1 centime au sol. Celui qui la ramasse devient immédiatement assimilé pauvre et se fait dans l’instant bannir du domaine. Faut faire gaffe, à VIP-City !

La cérémonie de clôture

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Coucou le jury !

La grande finale a commencé avec un hommage rendu à Bertrand Tavernier, qui avec un naturel confondant a souligné que tout ça sentait le sapin mais qu’il espérait bien, si possible, tourner encore deux, trois voire quatre films ! C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Pour rappel, il avait obtenu le premier Grand Prix en 2009 pour son très bon Dans la brume électrique – je m’en souviens, j’ y étais.

S’est ensuivi la remise de prix.

Le Jury SANG NEUF présidé par Santiago Amigorena , entouré d’Anne Berest, Didier le Pêcheur, Philippe Lelièvre et Nina Meurisse , a décerné son prix :

Prix Sang Neuf : Life Eternal (Autriche & Allemagne).

Le Jury de LA CRITIQUE composé de journalistes a décerné les prix suivants :

Le Prix de la critique a été décerné par des magasine ciné à l’espagnol Marshland (déjà reparti avec une 10aine de Goya dans sa contrée d’origine).

Le Jury SPÉCIAL POLICE présidé par Danielle Thiery, entourée de Eric Berot, Luis Moisés, Jean-Marie Salanova, Michel St Yves et Marc Thoraval a décerné son prix :

Prix Spécial Police – re-Marshland.

Le Jury LONGS MÉTRAGES présidé par Danièle Thompson, entourée d’Eric Barbier, Emmanuelle Bercot, Stéphane de Groodt, Philippe Le Guay, Laure Marsac, Jean-François Stévenin et Elsa Zilberstein, a décerné les prix suivants :

Prix du Jury : A Second Chance (DK), ex-aequo avec Hyena (UK).

Et enfin, le Grand Prix : Victoria (Allemagne) ; à savoir un plan séquence de plus de 2h qui a fait son petit effet.

La remise du Prix Claude Chabrol 2015 – qui récompense un bon film français affilié au polar sorti en 2014 – a été remis à La chambre bleue de Mathieu Amalric.

La remise des Grands Prix du roman noir a récompensé L’inspecteur est mort de Bill James dans la catégorie polar étranger (Pays de Galle) ; et Sara la noire de Gianni Pirozzi côté français.
Comme ces deux livres sont sortis – comme par hasard diront certains – dans la collection Rivages/Noirs de François Guérif, une personnalité incontournable du Festival, il est venu en personne récupérer ces prix en profitant de l’occasion pour défendre le format poche. Fait notable : ces deux œuvres ne sont en effet pas passées au préalable par la case gros liv’ qui brille.

Conclusion à Ferguson

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Avec des gars déguisés en flic, des flics déguisés en flics et tous ces gyrophares, gilets pare-balles etc, à un moment du festival, entre deux séances je me serais cru téléporté à Ferguson, USA. Du coup j’ai cherché un black du regard, j’en ai trouvé une. Je lui ai demandée :

— Ca vous fait quoi de voir la police de Ferguson débarquer à Beaune ?

— Vous voyez le shérif, là-bas ? C’est mon mari, m’a-t-elle répondu en souriant.

Merci au Public Système, en particulier à Clément Rébillat, pour son soutien.

Merci à la ville de Beaune pour son accueil & hello aux quelques comparses blogueurs croisés ça et là.

http://www.beaunefestivalpolicier.com

The Salvation (Kristian Levring, DK, UK, « Sud Afriquie », 2014) : avis d’un givré

THE SALVATION POSTER

1870, Amérique. Lorsque John tue le meurtrier de sa famille, il déclenche la fureur du chef de gang, Delarue. Trahi par sa communauté, lâche et corrompue, le paisible pionnier doit alors traquer seul les hors-la-loi.

Sale nation

Western classique, The Salvation l’est assurément. Trame cousue de fil blanc, poncifs et violence participent de ce que l’on appelle communément un cahier des charges. Respecté. Le visage vieillissant de Mads Mikkelsen se pare des rides sèches de Randolph Scott, filiation évidente avec cette histoire de vengeance importée des bonnes vieilles séries B de l’américain Budd Boetticher. Américain, le réalisateur Kristian Levring ne l’est aucunement. The Salvation a été écrit, joué et filmé par des danois. Si l’humour manque un peu à cette histoire filmée à la Sergio Leone, l’ironie et la critique ne sont pas en reste sur un second niveau de lecture au point de vue tout européen. La plupart des protagonistes sont des émigrés et non des immigrés sur ce territoire « neuf » délesté de ses peaux rouges, massacrés par hordes blancs assassins. Le vilain du jour, Delarue, participa au bain de sang. Son âme n’en sortit pas indemne. Assisté d’un corse incarné par Eric Cantona – simple second couteau, une gueule – il est joué par un très convaincant Jeffrey Dean Morgan au faciès proche de ceux de Javier Bardem et de notre José Garcia national. Avec leurs personnages, Anders Thomas Jensen scénariste s’amuse à chatouiller le drapeau US. Sans basculer dans la démonstration balourde, il raconte comment ce pays fut déconstruit/construit par des européens sanguinaires en quête des richesses du nouveau continent. Tous des vikings avides ! Cela fait écho au Valhalla Rising de N.W Refn avec ce même Mikkelsen incarnant un pauvre hère en quête d’un chez lui dans un ailleurs.

Un plan sur des puits de pétrole clôt le film et à l’évidente conclusion « faut pas péter les couettes aux danois ! » d’assumer une fierté toute nationale, surtout celle liée aux compatriotes sortis vivants de la Guerre des duchés – belle astuce narrative – dont, pour rappel, le réalisateur Ole Bornedal a réalisé tout récemment une série dédiée, 1864, cadrée pour cet octobre sur les télévisions danoises. Comme les autres, ce pays se recentre culturellement au milieu du drapeau.

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Mads Mikkeslen et sa tronche, paysage aride de western à lui tout seul.

Notons aussi que Jensen continue mine de rien de travailler sur la spirale de la vengeance, thème qu’il avait déjà largement exploré chez Susanne Bier, en particulier dans son remarquable – roulements de tambours – Vengeance (Haevnen, 2010), doté par ailleurs d’une très bonne photo a contrario de celle, trop criarde à mon goût, de The Salvation. Ce western commence très bien, toutes les scènes liées à la diligence sont épatantes de tension ; ensuite c’est un peu plus brouillon, les bonnes idées ne sont pas abouties à l’écran (quid de l’opposition de la vengeance du héros à celle du vilain ?) et le gunfight final est plutôt léger, loin, très loin de celui d’Open Range. La musique alterne des passages bienvenus de guitare sèche à d’autres mélodies plus classiques, pas toujours bien agencées. Une tonalité dramatique pendant les scènes d’action – surtout celles de Mikael Persbrandt – crée une distanciation dommageable. Divertissement bien sympatoche, quand même, surtout avec la belle Eva Green au milieu de ce casting prestigieux.

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Eva Green nous fusille de ses yeux revolver.

 

War Dogs – The Killing Machine (Björn Carlström, Daniel Hübenbecher, Suède, 1987) : avis d’un givré

« The story of the tragedy of violence », dixit cet hypocrite de gros bourrin de scénariste.

Rex, attaque !

Petit budget optimisé à fond les grenades, ce très offensif War Dogs eut une bonne carrière DTV en Angleterre en son temps. Il rappelle les débuts de Roberto Rodriguez avec son El Mariachi qui, à l’époque, m’avait bien emballé. Son ton décalé, potache, que n’a pas ce très sérieux WAR DOGS ! (grrrrrr…), arrondissait les angles, un peu trop anguleux chez le suédois. C’est très carré tout ça, surtout avec ce proche format 4/3 à géométrie variable. Quelques bandes noirs éparses trahissent quelques changements de format de ci de là. Tant pis, on garde ! Du fait du 1er degré assumé, la touche nanar tourne à plein régime – de grenades – grâce à des tronches qu’on ne voit nulle part ailleurs, des faux raccords à la pelle, des acteurs à la ramasse, des types qui portent des lunettes de soleil la nuit, un montage foireux mais, heureusement, dynamique ; de tout cet ensemble typique qui provoque régulièrement de belles crises d’hilarité aux dépends du film.

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Z’avez déjà vu Phil Collins avec des poils ?…

Rayon action, ça a vieilli mais reste encore largement généreux sur plusieurs morceaux de bravoure aussi poilants qu’impressionnants. Le début – cf. vidéo ci-dessus – tue des gosses aux ralenti autour d’une ice cream portée là en guise de clin d’oeil au Assault de John Carpenter, une fausse fin nous gratifie d’une longue poursuite hargneuse en bagnole, bien chorégraphiée avec tout plein d’explosions et des chouettes cascades, puis d’un duel à la Sergio Leone avec des lance-grenades en lieu et place de flingues. Ça cite Terminator en mode exponentiel à tour de gros bras et annonce surtout le Universal Soldiers de Roland Emmerich avec ces même guerriers construits pour mieux résister et mieux tuer. Cela étant, l’air du temps n’est pas le même ; à l’heure où j’écris ces légèretés la guerre fait rage comme rarement dans le monde (en Palestine, en Syrie, en Ukraine… ça se rapproche!) et de voir un gosse se faire mitrailler au ralenti n’est pas juste fun et provoc’, c’est un peu inapproprié. Le cinéma est affaire de palliatif donc toujours contextuel mais soit, embrayons (…)

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KABOOM ! Format 1 en haut, format 2 en bas.

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(…) le tout se termine sur un suspens familial très glauque, 20 minutes de trop sans doute là histoire de boucler une carte de visite tout-en-un pour leurs auteurs qui lancèrent des bouts de carrière avec ça. Ils en bavèrent pour pondre ce film, ce qui se voit et paye bien sur l’énergie générale, une certaine générosité partagée qui fait qu’au bout du compte ça défouraille plus et mieux que dans un The Ninja Mission, film signé Mats Helge Olsson dont l’esprit chargé de velléités militaires évidentes – et d’opportunisme adéquat – hante cette curiosité assez stupéfiante. War Dogs, que ça s’appelle. Grrrrrr !!! Couché.

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Vous n’auriez pas vu passer Sarah Connor ? Je ne vois rien avec ces lunettes…

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Alors : une jambe là, un bras ici… où est la tête ?

 

Blood Tracks – Les entrailles de la nuit (Mats Helge Ollson, Suède, 1985) : avis d’un givré

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Un groupe de rock suédois, Solid Gold, s’en va tourner un clip dans la montagne. Ses membres – qui vont les perdre – dérangent les habitants plutôt sanguinaires d’une usine désaffectée…

Une grosse choppe de bière avant de monter sur scène, ça enlève le blood trac !

Avez-vous trop chaud en cette canicule estivale ? Moi oui, aussi cherche-je à me rafraîchir devant un film nordique. De la neige, des meurtres, des jolies nanas coiffées dans l’air d’antan : roule pour LE slasher suédois des 80’s, Blood Tracks ! Chef d’œuvre méconnu du genre, ce fi… non, ne soyons pas bêtement auto-corporate, c’en est un beau de nanar, en effet. « Atrocement nul et très divertissant » dixit Daniel Ekeroth dans son bouquin Swedish Sensationfilms, une bible pour un blog comme Les givrés. Parce qu’il faut voir – et entendre – ce groupe de hard rock 80’s Easy Action chanter « Blood Tracks » dans la neige au milieu des montagnes, avec à ses côtés quelques groupies en petite tenue littéralement gelées ; il faut reluquer cette fille à oilpé qui s’extrait leeeentement d’une voiture coincée par une avalanche ; il faut apprécier à sa juste valeur – zéro ? – ce plagiat pourri, outre celui évident de La colline à des yeux (pas pour voir tout et n’importe quoi non plus), du Blow Out de Brian De Palma le temps d’une recherche de sons étranges à l’aide d’un micro dans une usine, à l’inverse de moi, désaffectée. Et il faut savoir apprécier le jeu des membres du groupe, a priori tous bourrés plus ou moins de force par le réalisateur MatsThe Ninja MissionHelge Olsson afin qu’ils jouent mieux. Ou moins mal, peut-on lire dans les notes « Trivia » d’IMDb.

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J’ai un truc qui me pique dans le dos, là…

A tout ce petit monde de se faire massacrer par les rednecks du coin, tous plus sympathiques que nos hystériques touristes. La présence de ces dégénérés (tout est relatif), alliée à la musique très efficace de Dag Unenge (The Ninja Mission, War Dog), un bon travail au son et quelques scènes gores pas dégueulasses – si, justement ! – participent d’une ambiance particulière qui, elle, ne relève pas du navet. Pas fier quand même, le guitariste Kee Marcello quitta le groupe par la suite pour rejoindre Europe (The Final Countdown) tandis que moi m’en vais cacher mon dvd import suédois de daube je ne sais où. Le format est plein cadre alors que c’est du scope mais les scènes gores restent à peu près (?) intactes là où la vidéo intégrale visible sur Youtube est ultra censurée. Y-a-t-il des limites au complétisme, je vous le demande ?

The Keeper of Lost Causes : du livre au film ; avis d’un givré

kvinden_i_buretJ’ai déjà un peu présenté ce film par là, depuis j’ai lu le livre (Miséricorde), la bande-annonce s’est annoncée… et j’ai vu le film donc je m’en vais rebidouiller ce texte. Le bouquin ? C’est un bon polar, vraiment, mais il doit davantage à ses personnages principaux, surtout le principal, qu’à son intrigue, très efficace mais qui ne révolutionne pas le genre. Un peu de la série The Wire (Sur écoute) avec cette antenne spéciale de la police cantonnée au sous-sol, saupoudrée d’une pincée de la série Cold Case avec cette vieille histoire déterrée, et d’une bonne louche d’Old Boy, monstre coréen remaké par Spike Lee qui pour le coup devrait s’abstenir de donner des leçons à Quentin Tarantino sur sa vision black de Django quand lui-même se met à verser dans l’inutile et… bref. Que disais-je ? Ah, oui, Old Boy, donc, avec cette femme emprisonnée de longues années dans une cage pour une raison qu’elle ignore et un twist prévisible entérinant bien cette filiation avec le film de Park Chan-wook. Dans le livre, notre héros l’inspecteur Carl Mørck ne rompt pas avec cette mode actuelle du flic borderline sur les pieds duquel tous les malheurs du monde ont choisi de s’abattre : divorce, collègues tués plus ou moins par sa faute etc… Pourtant, l’on s’amuse à suivre ce personnage tout sauf proactif à la Les experts – enfin ! -, qui fuit l’enquête du jour pour des raisons à la fois dépressives et bullatoires et qui devra bien malgré lui s’y coller à cause de son très motivé comparse, l’épatant Assad. Là réside le gros point fort de cette histoire : des personnages captivants qui évoluent au gré d’une intrigue plutôt bien construite. Je dois bien avouer que la bande-annonce, malgré ce casting au poil, ne retranscrit pas cette ironie particulière, il est vrai très littéraire. Pourtant, à la lecture, j’ai pensé à Nicolaj L. Kaas tout du long, celui d’A l’autre bout du monde précisément, qui colle impeccablement au personnage. Kaas est un véritable acteur de composition ; il est beaucoup moins drôle dans Just Another Love Story.

Kvinden i buriet-thumb-630xauto-44051Le film ? S’il adapte plus que correctement le bouquin en osant des raccourcis malins pour faire tenir le polar sur un peu plus 90 minutes, il taille dans l’humour noir, les personnages et l’ambiance. Pas de fioritures, on va du point A au point B ; tout le monde fait le job avec un professionnalisme plus qu’honorable – le casting est au poil – mais on frôle malgré tout par endroits l’adaptation télévisuelle. Chez nous, on aurait eu droit à un Jean-Hugues Anglade dans le rôle titre. Ca manque peut-être un peu de punch et la révélation du pot aux roses m’a semblé mal gérée, balancée mécaniquement à la ménagère comme on se baisserait pour attacher ses lacets. Pas de supplément d’âme, certes, mais ça reste du bon boulot.

Dark Floors (Pete Riski, Finlande, 2008) : avis d’un givré

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La faune et le floor

Inquiet pour la santé de sa fille autiste, le père voit comme seule option un enlèvement de l’hôpital par la force. Une panne d’ascenseur empêche une sortie en douceur et les emprisonne avec d’autres. Pourtant l’incident est seulement le commencement d’une descente dans le cauchemar. Alors que les portes s’ouvrent, l’hôpital semble mystérieusement abandonné. Quand des corps mutilés sont trouvés, les créatures venant d’un monde obscur commencent une attaque effrayante. Il apparaît bientôt clairement que la survie du groupe repose seulement sur la petite fille.

Le film, tourné en anglais mais à Helsinki, en Finlande, se fit grâce à ce qui le tira vers le bas : le groupe de métal finlandais Lordi. Grands vainqueurs de l’Eurovision en 2006, les musiciens s’y virent comme « des carnivores dans un restaurant végétarien ». Le leader, « Mr Lordi » ne cracha pas dans la soupe et profita de ce que son groupe soit soudain « européennement » célèbre pour se lancer dans un projet qui lui tenait à cœur : participer activement à l’élaboration d’un film d’horreur. Seulement voilà, du haut de leurs costumes en latex à la GWAR, groupe hardos américain autrement plus trash, ils campent une tribu de démons gotico-muppets qui renvoient davantage au cultissime Labyrinth de Jim Henson qu’au Darkness de Jaume Balaguero, auquel on pense aussi avec cette même obscurité qui s’avance, cachant dans le noir ses horreurs indicibles. Labyrinth, on y pense également non pas juste parce que la gamine de l’affiche ressemble à l’elfe de Dark Crystal, l’autre gros film des studios Henson, mais parce que cette héroïne, Sarah, qui bascule de l’autre côté du miroir, évoque grandement cette même Sarah s’en allant sauver son bébé kidnappé par les horribles kobolds. Incarnée par Jennifer Connely, l’adolescente prolongeait les caractéristiques de cette autre jouée par cette même actrice dans un conte autrement plus macabre, le Phenomena de Dario Argento. C’est sur ce canevas de conte que l’histoire foutraque de Dark Floors nous est proposée. Foireuse, indéniablement, parce qu’à partir dans tous les sens en alignant des concepts non prolongés, non clôturés – quelques paradoxes temporels par là, un vieil homme énigmatique par ici, une étrange petite fille au milieu de tout ça… – voire des idées de court métrage déjà exploités ailleurs, on obtient un fatras de trucs qui, sans réel point de vue ni cette poésie goreuse toute italienne à la L’au-delà de Lucio Fulci, tire l’objet en-dessous du Dark Floor.

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Coucou ! C’est moi, Casimir !

Si l’on se moque des vilains démons à chacune de leur apparition grotesque, la mise en scène et la photo, elles, sont honorables. Elles évoquent, justement, le ciné de l’espagnol Jaume Balaguero, et le rendu rapproche le tout d’un film mineur mais tout aussi bien emballé de John Carpenter, The Ward (qui veut dire « quartier », pavillon »), avec lequel il partage ce goût pour l’horreur qu’inspire le milieu hospitalier. Ce film, gâché par un twist salement emprunté à l’excellent Identity de James Mangold, joue bien de la folie et des couloirs qui symbolisent dans nos péloches favorites nos errances, nos pensées. D’abord rectilignes, claires, axées, elles se font ensuite flinguer par notre environnement, la vie, ses contradictions. L’incompréhension première liée à l’adolescence. Dark Floor nous rappelle ce type de métrage – Freddy 3, le doublé Halloween 2 / Cold Prey 2, From Beyond… – où l’hôpital devient davantage qu’un simple décor. La naissance, la mort, la folie, la maladie : toutes ces réalités qui alimentent la plupart des films d’horreur partent de cet endroit pour mieux y revenir par la suite.

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Imagerie à la Silent Hill, sous influence(s) mais réussie.

Petit film au léger capital sympathie relevé par la présence de William Hope, qui incarnait le Lt Gorman dans Aliens, Dark Floors se situe malgré tout en bas d’un hôpital dominé par d’autres films plus prestigieux. L’on peut rajouter Silent Hill, L’échelle de Jacob, L’exorciste la suite etc. On se sent surtout frustré par cette horreur aseptisée à l’excès pour une raison d’une bêtise intersidérale, car suite à ce succès de l’Eurovision, parce que le public cible pouvait dès lors contenir de très jeunes adolescents, les producteurs choisirent de dire adieu au sanguinolent et à toutes les scènes trash qu’on était en droit d’attendre d’un schéma pareil. « Des carnivores dans un restaurant végétarien ? » De sacrées grandes gueules, surtout, qui dans un hôpital se révélèrent alors incapables de faire couler la moindre goutte de sang. Balade filoguidée sur un fauteuil roulant, à vous de tenir la caméra pour réaliser un travelling dans lequel jamais la caméra ne tremble de stupéfaction. La promenade reste agréable.

Dark Floors : 11/20

Only God Forgives (Nicolas Winding Refn, France, Thaïlande, USA, Suède, 2013) : avis d’un givré

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Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y (Jacques Prévert)

« J’avais envie de détruire quelque chose de beau » avouait un personnage torturé dans le culte Fight Club de David Fincher. C’est en substance ce qu’a dû penser le réalisateur danois Nicolas Winding Refn en s’en allant détruire son icône de Drive, Ryan Gosling, avec ce radical Only God Forgives (OGF). En partie incomprise, l’icône, puisque psychologiquement le réalisateur du fabuleux Bronson l’avait déjà brisée en en faisant, in fine, davantage un repoussant tueur fou psychopathe qu’un énième Mad Max empathique. Appuyons là où ça fait mal, quitte à ne pas caresser les fans dans le sens du poil puisque notre gigolisé préféré du moment en prend cette fois plein la tronche. Enfance toxique, présent nauséeux, avenir souffrir… Mieux vaut mourir !

Il me plut de voir la fin de Valhalla Rising comme un au-revoir consommé entre Refn et son avatar précédent, incarné par Madds Mikkelsen. Cette fin vide de sens, qui figure aussi la page blanche, me fit penser que l’inspiration ne venait plus à un Refn adepte de l’improvisation. Sa muse ne l’habitait plus. A ses pas de viking de s’estomper, de disparaître dans cet usuel endroit fantasmé qu’est l’Amérique. A un autochtone d’y prendre le relais. A travers Gosling, Refn se venge-t-il de tant et tant de choses difficiles à exprimer ? Toujours est-il que cette variante du personnage Tonny dans les Pusher 1 et surtout 2 encaisse plus encore dans une belle continuité rouge sang. Fut un temps, NWR avouait volontiers qu’il aurait pu raconter ce qu’il voulait dans un film en l’appelant Pusher 4, 5 etc si cela l’aidait à mieux vendre un projet. En l’occurrence, avec cette famille de dealers expatriée à Bangkok, on l’a, notre Pusher 4.

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 Qu’est-ce qu’avoir des couilles en ce bas monde ?…

Et on le tient, le nouveau bijou du maître. Il réussit en Thaïlande avec son film citoyen du monde – production franco-suédo-ricaine, réalisateur danois, acteur américain… – comme John Woo marqua son territoire aux USA avec Volte-Face. Drive, un bon film, relevait de la série B un peu auteurisée sur les bords. Avec OGF, Refn se débarrasse de toute forme de cahier des charges. Il écrit le scénario. Adepte confirmé du cinéma de genre asiatique – voir et revoir Bleeder, son True Romance à lui, pour s’en convaincre -, il se laisse imprégner par ce pays, la Thaïlande, absorbe beaucoup de ses effluves avant de nous larguer à la tronche son poème guerrier qui s’en irait, en vain, prôner la paix. La route est longue, très longue ; la vie n’est qu’un combat sans fin que l’on se mène à soi-même, à travers les autres, à travers Dieu. Les Dieux. Voici l’apocalypse ! Qui trouve à sa source les champs de l’emprise et le maelström chaotique du monde ! Des vérités s’affrontent, l’absurde effraie et le méchant… n’en est pas un. Au contraire, petit à petit, Chang, le policier thaïlandais plus ou moins à la retraite incarné avec force par l’acteur Vithaya Pansringarm, dans la vie directeur d’une école de danse et expert en Kendo, évoque autant le colonel Kurtz d’Apocalypse Now qu’un Roi Salomon local. Pour faire régner la justice, il use d’une atroce violence, malgré lui et orientée, pour éviter un déluge plus horrible et plus injuste encore. Fascinant, son personnage, véritable héros du film, conçoit sa propre damnation en même temps que l’on perçoit des esprits environnants qui iraient dans son sens, l’aideraient dans cette tâche ardue. Il n’est pas seul, soutenu par ses amis et des forces d’outre-tombe comme un Frodon le serait par la Communauté de l’anneau. Voilà pour le point de vue. Adepte du manichéisme, une série B américaine lambda nous aurait présenté ce personnage comme un affreux mafieux sanguinaire de plus. Refn, non. Afin de porter son terrible fardeau, contrebalancer les horreurs qu’il commet et chercher cet équilibre qui lui permet vaille que vaille de continuer à avancer, notre policier, notre Dieu qui pardonne rarement, chante. Des choses naïves, simples, belles. Debout, sur scène. On replonge alors avec délice dans cette naïveté du ciné de genre de Hong-Kong des années 90. Les chansons sucrées de Sally Yeh qui apaisent la violence dans The Killer, celles des poètes au milieu des affrontements dans Swordsman et sa suite… Le contraste est saisissant dès lors que c’est à celui qui verse le sang d’aller chercher cette voix au plus profond de lui-même. Elle invoque des esprits à la présence devinée, comme on le fait nous à travers nos personnages de fiction préférés, des fantômes créés de toute pièce par des artistes inspirés.

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La déesse égypto-grecque Baghee-Râ, reine panthère qui souhaite rester tandis que Léo part.

L’œuvre commence par un crescendo bien glauque, poisseux. La fin du premier chapitre imagé trouve son point culminant avec un déluge de violence gorissime fait de bras coupés, d’un visage massacré filmé en gros plan. Puis la nouvelle du décès de son frère est perçue par Julian (Gosling) avant qu’on ne la lui annonce. Refn reprend des éléments de la scène d’impuissance de Pusher 2 pour figurer l’absence d’un membre… de sa famille. Son frère, son bras droit tranché, s’en est allé. Avant le « toc-toc » à sa porte, on sait qu’il sait. Et l’on sait que Refn connaît The Blade (Tsui Hark) et ses prédécesseurs sur le bout des doigts qui lui restent ! Le frère en question ? Désincarné par l’épatant Tom Burke, en quelques scénettes chargées de souffre le voici aussi mort que défini post-mortem comme l’odieux monstre de perversité qu’il était. D’aucuns n’arrivent pas à nous faire ressentir un personnage pareil sur un film entier ! Et tout ceci n’est que le début. S’ensuivent des scènes cultes sans temps mort et… comment ça, trop lent ? Groggy, Julian encaisse d’abord la perte de son frangin comme s’il s’était pris un coup de genou de boxe thaï dans la tronche. Il avance lentement, il titube, ne sait pas où aller. L’étirement du temps est pleinement justifié. On devine quand même Julian instable, blindé de démons, jusqu’à ce que l’arrivée de sa mère ne vienne confirmer l’ampleur du désastre psychologique. Cette véritable horreur prend vie – c’est un bien grand mot – à travers le jeu impressionnant de Kristin Scott Thomas ; et à son personnage de débarquer directement dans le top 10 des salopes les plus abjectes du cinéma. « Crystal », qu’elle s’appelle, la lionne. Crystal clear ? Ironique ! Boueuse, marécageuse, puante ! Infecte déesse grecque venue semer le désordre en ce monde qui n’en mérite pas tant. Julian, paumé, peine à s’extraire de cette cellule familiale vérolée. Il ne souhaite en rien se venger de son odieux frère. Toujours filmé dans un entre-deux, il fait davantage parler son corps que… Là où Refn fait du Lynch, ça n’est pas tant dans la forme que dans ce concept qui consiste à vouloir créer un sentiment, une émotion, davantage qu’une démonstration classique. Et à la forme de servir le propos. La photo à se damner de Larry Smith (un habitué de Stanley Kubrick), la musique, débarrassée des chansons pops de Drive, de Cliff Martinez (Kafka), les sons formidablement bien travaillés de Kristian Eidnes Andersen (un cador, apprécié par chez Lars Von Trier, Susanne Bier etc) et tous les oripeaux, non cités ici, vont dans le même sens. L’on ressent avant de chercher à comprendre. La haine, d’abord. Incompréhensible. Puis l’état cotonneux, distant, de cet étranger de Julian, pas si loin de celui d’Albert Camus, dont on fête cette année les 100 ans de sa naissance, lorsqu’il s’en va trouver une violence qu’il ne veut pas vraiment ; lorsqu’il se force à jouer à un jeu auquel il n’aspire pas. L’étranger tout simple, aussi, l’expatrié qui ne se sent pas à sa place dans un pays qui n’est pas le sien, ce qui fait écho à cet américain perdu en Corée du sud dans la très belle Adresse inconnue du coréen Kim Ki-duk. Pour fuir son triste destin, Julian devrait fuir à la fois sa famille et cette contrée. Facile ?

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C’est lui ! C’est Blade ! Et sa fameuse technique thaïlandaise ancestrale pour bien se gratter le dos.

Puis vient notre héros, le fier, sévère et pervers cerbère ! Le paisible d’apparence Chang, qui lui n’est pas plombé par la lenteur de la perdition mais soutenu par celle de l’assurance. Le temps joue en sa faveur, ses ancêtres l’accompagnent, eux qui sont déjà morts depuis si longtemps. Il nous charme le temps d’une scène à la Ghost Dog, Martinez remplaçant joliment RZA sur un entraînement au sabre aussi planant que galvanisant. Puis on ne le lâche plus, l’empathie devient plus prononcée à son égard. A ce Dieu d’affronter la noire déesse, de mater la mater le temps de joutes orchestrées par un montage somptueux, notamment via ce fracassant champ-contrechamp à distance. Ils s’affrontent du regard par magie interposée, elle tout là-haut dans sa tour, lui tout en bas, dans sa ville. Doté d’une ambivalence toute kitanienne, notre héros maudit impose le respect tout autant que la pitié. Il encaisse lui aussi, et même s’il reste debout à chanter pour accompagner le générique de fin, on sait qu’il est mort, lui aussi. Se prendre pour Dieu a un prix. Le film touche à la perfection de l’épure et simple.

Only God Forgives : 18/20