Quand nous étions sorcières – The Juniper Tree (Nietzchka Keen – 1990)

À la fin du Moyen-Âge, la jeune Margit et sa soeur Katla fuient dans les montagnes après que leur mère ait été brûlée pour sorcellerie. Elles trouvent refuge chez Johann, un paysan veuf qui élève son garçon Jonas. Cependant, Katla utilise ses pouvoirs afin de séduire Johann, ce qui déclenche la colère de Jonas. Pendant ce temps, Margit a des visions de sa défunte mère qui lui apparaît lors de visions, et va peu à peu s’enfoncer dans ce monde mystique.

Adaptation éthérée d’un conte des frères Grimm, sortie chez nous seulement en 2020. Incompréhension, d’abord, car Björk figure au casting. Alors encore Björk Guðmundsdóttir, son nom est inscrit au générique. Le film aurait dû débouler dans les 90’s en pleine Björkmania. Puis surprise, car c’est très bon – ça cause anglais, non islandais, mais ça passe tant le propos semble universel. La narration est extrêmement poétique, composée bien souvent de plans fixes jouant avec la profondeur de champs. Sens du cadre, de la musique, du son, du jeu d’acteurs, tous au service d’un rythme lent, mais jamais chiant. On peut rapprocher ça du The Witch de Eggers, parce que le sujet, le traitement, une jeune actrice égérie en devenir. Björk comme Anya Taylor Joy sont des créatures de légende aux atours de fées, d’elfes.

Le film est planant, réclame un laisser aller, avec un sens qui se situe davantage dans les effluves de son ambiance que sur un plan pragmatique décousu. Ainsi, les sons qui accompagnent le travail sur les tissus tout du long – couture, froissage, pliage – résonnent plus durement lorsque ces mêmes pratiques entourent la manipulation d’un cadavre. Glaçant. C’est réalisé par une femme. Voilà le pendant féminin d’un Kim Ki Duk. On peut aussi penser à Bergman, évidemment, surtout celui de La source, mais ce serait minimiser l’énergie dépensée par la réalisatrice pour accoucher de cette œuvre troublante. Les courts métrages visibles sur le support BR/DVD de chez Capricci sont sans équivoque, ce sujet récurrent (la femme, l’appréhension d’elle-même, du regard de l’homme, de la gêne du rejeton, peut-être la quête d’un pardon, ou alors non, un bras d’honneur au pardon) lui était très personnel. On sent même que son avatar est, plus que Björk, la grande soeur Katla, très bien jouée par Bryndis Petra Bragadóttir (merci Google) une grande blonde au visage volontaire qui a comme des airs à la Karen Sillas vue chez Hal Hartley. Et là, on rejoint le haut du panier d’un certain ciné indé’.

Nietzchka Keen s’était alors auto-produit, a tourné entre 1986 et 1990 selon les états de ses finances. A un moment, Björk était enceinte, ça se voit un peu si on le sait et qu’on y fait gaffe.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, voir ce film, découvrir un univers, même si la réalisatrice est décédée début 2000’s à 52 ans seulement. J’essaye de dégoter son ultime long, terminé alors qu’elle était déjà partie, Barefoot to Jerusalem, mais c’est compliqué. Il faut toujours s’attarder sur ce qu’expriment ceux qui partent trop tôt, c’est extrêmement riche. Souvent dur, mais riche.

Riders of Justice (Anders Thomas Jensen, DK, 2020)

Markus, militaire danois en poste en Afghanistan, rentre précipitamment chez lui après la mort de son épouse dans un accident de métro pour s’occuper de leur fille. Un rescapé, Otto, prend contact avec Markus et lui explique que l’accident était en fait un attentat soigneusement orchestré.

Justice rendue pour ATJ

Le pied. Anders Thomas Jensen continue ses réflexions sur la violence en piratant cette fois ouvertement du Liam Neeson Takenisé, mais sans jamais le parodier. Il ne se moque pas, car s’il s’interroge sur ce besoin de défouloir de tout un chacun, il semble le partager avec cette complicité du pote assis à côté de vous sur le canapé, une bière à la main. Raison pour laquelle il passe derrière la caméra ? Susanne Bier, réalisatrice pour laquelle il a beaucoup écrit, n’a pas voix au chapitre, mais l’on sent que le film prolonge bien son Revenge par exemple (Oscar du meilleur film étranger en 2011). A en croire Mads Mikkelsen, l’idée était en effet de fusionner l’univers trash d’ATJ et le style des scénarios plus mainstream – à débattre – qu’il écrit habituellement pour les autres. Bon, « les boys » sont de retour pour la déconnade, mais comme d’habitude le scénario et la tonalité humaniste supplantent le potache. Sur ce point, l’apport tout en nuances du jeu de Nikolaj Lie Kaas est encore une fois considérable. Enfin reconnu à sa juste valeur grâce aux Enquêtes du département V, il mérite lui aussi un bon coup de projo sur ses talents.

On sent tout de même le rééquilibrage normatif après un très gonflé Men & Chicken qui aura occasionné des vagues de rejets, même au DK. ATJ reçoit encore des lettres d’insulte pour l’avoir commis. Là il réussit son coup : Riders of Justice a dépassé Drunk rayon démarrage de l’année 2020 dans son propre pays. Nouveauté: le début et la fin qui enrobent le tout façon joli conte m’ont cueilli. La jaquette internationale du BR (cf. ci-dessous) joue la carte du DTV actionner, et elle en appelle aux frères Coen pour raccrocher l’humour à ces célèbres référents en matière d’absurde, mais c’est dommage. ATJ est un auteur à part entière, depuis le temps il ne devrait pas avoir besoin de ça. C’est la malédiction qu’il s’est choisie en jouant de la sorte avec les genres et en se moquant des étiquettes qui, pourtant, aident à vendre. Vendons : voilà encore un incontournable du maître. Selon les retours lisibles ça et là, beaucoup découvrent l’artiste avec grand plaisir. Si certains s’estiment – à raison – truandés par la jaquette mensongère, d’autres s’avouent agréablement surpris par cette tonalité nouvelle. C’est très plaisant à lire. Il n’est jamais trop tard pour découvrir un auteur… et réévaluer l’ouverture d’esprit du public si besoin était.

Pour la suite, comme beaucoup d’autres ATJ se tourne vers la TV. Avec son complice Nikolaj Arcel (A Royal Affair) il travaille sur l’adaptation en 6 épisodes du roman criminel The Monster of Florence pour Studiocanal avec Antonio Banderas en tête d’affiche.

Ikitie – The Eternal Road (AJ Annila, Finlande, 2017)

Ketola est de retour en Finlande après avoir quitté les États-Unis de la grande dépression. Témoin de tensions politiques croissantes, il est soudain emmené à la frontière soviétique pour être exécuté : des nationalistes le soupçonnent d’être communiste. Il parvient à s’échapper et fuit en Union soviétique, mais le voilà contraint d’intégrer et d’espionner une ferme collective fondée par des Finlandais et des Américains.

Ikitie pas dans la merde

Malgré mon attachement à ce réalisateur – Jade Warrior et Sauna sont à mes yeux excellents – je ne me suis pas précipité sur ce Ikitie – The Eternal Road. Commandé dans le cadre du programme du 100e anniversaire de l’indépendance de la Finlande (1917), il avait tout du fade projet impersonnel. Erreur réparée. S’il s’agit bien d’une œuvre de commande, AJ Annila a su se l’accaparer. « Je voulais que le film avance à la façon d’un train », dit-il dans le dossier de presse. L’image est en effet glaçante, tant elle évoque celle, connue, des convois emmenant hordes juifs et pseudo ennemis dans les camps nazis pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant, « le film est sans surprise » ai-je lu dans une critique à charge. En effet, un train va inéluctablement du point A au point B. L’inéluctabilité, c’était déjà le thème de Sauna qui contait la marche de types damnés allant à la rencontre de leur immonde destin. Mais ces gars-là étaient des crevards et le film appartenait alors à un registre fantastique quasi lovecraftien. Là, on baigne dans le fait historique ignoré avec, en guise de monstres, des hommes.

Les Finlandais qui suaient dans les kolkhozes ont eux aussi été victimes des grandes purges (1936 – 1938), ces emprisonnements, tortures, déportations et autres tueries massives d’opposants politiques réels ou supposés orchestrées à grande échelle par le parti communiste russe, sous Staline, via le NKVD. Annila reprend donc le concept d’une fatalité inexorable en suivant cette fois des gens biens, mais dont l’issue reste infecte. Là est le point fort de l’œuvre, ce point de vue qui ne donne pas de leçon ni ne fait flotter le drapeau du pays au vent. « Pour moi, ce n’est pas un film sur le communisme ou le capitalisme, mais sur des gens qui sont prêts à construire un monde et une vie meilleurs pour leurs familles et leurs proches. Souvent, ils ne sont pas à leur place dans ce monde » appuie le réalisateur. Le film montre cela de façon très délicate, élégante et touchante, sans jamais verser dans le pathos qu’un tel sujet amènerait aisément par ailleurs. On peut être surpris de ce virage de la part d’un gars dont le film Sauna peut être taxé de franchement sadique. Il s’en explique ainsi : « Depuis la naissance de mes propres enfants, j’ai éprouvé un énorme dégoût pour tout type de violence dans ce monde, donc je n’aime pas faire ces scènes et je ne veux pas non plus montrer de violence graphique ». Il faut ajouter qu’un membre de l’équipe de production a dû quitter le projet car le sujet le touchait trop personnellement : ses parents sont morts sous la domination soviétique.

Ce qui est très intéressant en découvrant ce film en 2022, c’est l’écho d’avec le menace russe aux frontières de l’Ukraine telle qu’elle nous est présentée aux infos. Le film, tourné en Estonie, raconte un évènement survenu en Carélie russe, a priori du côté d’Aunus (Olonets). La Carélie est aussi un pays tampon chargé d’histoire, qui illustre les dilemmes rencontrés par la Finlande, en particulier son appartenance à l’Axe pour contrer la Guerre d’hiver de 1940 lancée par Staline. Relativement ignorant sur ces sujets, je suis gré à Annila de m’avoir fait m’y intéresser par le prisme du cinéma. Car il s’agit avant tout d’un film, et d’un très beau. La photo souvent lumineuse de Rauno Ronkainen (Purge) a de la gueule. Certains plans des champs et de ces gens évoquent Cimino et sa Porte du paradis. L’ambition également, celle d’à la fois raconter la petite histoire dans la grande et d’embrasser frontalement la grande histoire de l’humanité. L’équilibre n’est pas loin d’être miraculeux sur ce type de postulat glauque auquel les auteurs parviennent à conférer une aura positive. Le lien entre le protagoniste et un cadre du NKVD rappelle même par (brefs) endroits celui entre un père juif joué par Roberto Begnini et un officier allemand dans La vie est belle. Sans rogner ni jouer la carte de l’emprunt. Le film, tiré d’un roman de Antti Tuuri, fiction partant d’une histoire vraie, contient de beaux moments de ciné, des plans travaillés, de remarquables plans séquences et une narration assez notable en cela qu’elle ne bifurque jamais. Elle colle au sujet, semble en effet avancer sur des rails (très peu de plans aux mouvements verticaux de mémoire), notre anti-héros se voyant bringuebalé d’un monde absurde à un autre, les drapeaux se mélangeant sans qu’il s’y intéresse jamais vraiment. Ni nous non plus. Il y a du Man Who Wasn’t There des frères Coen en lui, de ce type qui ne veut pas être là, n’a rien demandé à personne et ne peut que subir les évènements du monde. Ce parti pris, rare en cela, aussi, qu’on ne sait jamais si on doit trouver le héros sympathique ou non – car tel n’est pas le sujet – dénote une intelligence notable.

Depuis ce film, Annila s’est, comme beaucoup de réalisateurs, tourné vers la série TV. Sa prochaine, il vient de la signer pour HBO Max.

sources : http://www.iltalehti.fi et http://www.is.fi via fi.wikipedia.org

Lire aussi : https://cineuropa.org/fr/newsdetail/363051/

Annila chez hbo : https://cineuropa.org/fr/newsdetail/411587/

Photos : https://www.raunoronkainen.com/

Refroidis (Hans Petter Moland, Norvège, 2014)

La Norvège, l’hiver. Nils, conducteur de chasse-neige, tout juste gratifié du titre de citoyen de l’année, apprend le décès de son fils par overdose. Réfutant cette version officielle, il se lance à la recherche des meurtriers, et va se forger une réputation de justicier anonyme dans le milieu de la pègre. Si la vengeance est un plat qui se mange froid, la sienne sera glacée !

Remonter la chaîne du froid

Le film est à l’équilibre dans sa première moitié. Humour noir, violence, légère poésie de l’absurde : le canevas est connu – un type venge un proche en remontant toute la chaîne – mais la tronche du William Hurt suédois Stellan Skarsgard et ces quelques nuances permettent de garder le focus. Puis le scénario s’enlise, d’autres personnages débarquent, l’intérêt se dilue jusqu’à un gunfight final assez quelconque. Dommage. Le réalisateur fera mieux deux ans plus tard avec le 3ème épisode des enquêtes du Département V, mais sans doute moins bien avec le remake inutile de ce Refroidis, Sang froid, avec Liam Neeson, que j’ai peu envie de découvrir. Le paysage enneigé, lui, est celui entourant Beitostølen d’après IMDb. Googlisé, on est près d’une célèbre piste de ski en plein milieu de la Norvège. Voilà indubitablement l’aspect le plus rafraîchissant de cette histoire.

Scary Stories to Tell in the Dark (Andre Øvredal, USA, 2019)

Dans un manoir abandonné, un groupe de jeunes trouve un livre qui raconte des histoires terrifiantes. Mais cette trouvaille n’est pas sans conséquence : la lecture du livre permet à ses effroyables créatures de prendre vie… La petite ville va alors faire face à une vague de morts particulièrement atroces, et chacun devra affronter ses pires peurs pour sauver les habitants et arrêter ce carnage.

Présenté par ici, ce film de notre Norvégien préféré surprend dans le bon sens du terme. Sur un canevas qui pourrait être issu de la franchise « Chair de poule », Scary Stories fait peur, conserve un 1er degré constant, ne se moque pas de son public et se termine quasiment sans concession. Une voix off ajoute une aspérité, mais sans illustration à l’image et laisse à un hypothétique second opus le choix de sauver les victimes ou non. Chouette !

Petite référence à venir pour les kids courageux – après Strangers Things – Scary Stories ne secouera l’ancien que je suis que sur une scène étouffante. Dans un hôpital, une horrible sorcière se démultiplie dans les couloirs et encercle un pauvre gamin pour finir par l’avaler dans son gros corps gras. Dégueulasse et flippant. La note d’intention de se référer à Poltergeist est respectée : là se situe la tonalité. Elle supplante l’inoffensif Dark Floor, auquel j’ai souvent pensé, si l’on se réfère aux pays nordique, mais reste en deçà d’un Fragile de Balaguero, auquel j’ai aussi beaucoup pensé, et si l’on s’éloigne cette fois du sujet de ce blog.

Pour les plus grands, toutefois, vivement que le projet de ce même réalisateur sur le voyage du Demeter, vaisseau par lequel Dracula arriva en Angleterre, voit le jour. Ou la nuit.

Kon-Tiki (Joachim Rønning et Espen Sandberg, Norvège, 2012)

Avec cinq compagnons, Thor Heyerdahl, anthropologue, archéologue et navigateur norvégien, effectua en 1947 la traversée entre Callao (Pérou) en Amérique du Sud et l’archipel polynésien des Tuamotu sur un radeau, le Kon-Tiki. Il s’agissait de prouver que le peuplement de la Polynésie avait pu se faire depuis ce continent.
À cette fin, l’expédition utilisa les techniques de navigation qui pouvaient être connues à l’époque de la civilisation inca : le radeau était constitué de troncs de balsa abondants dans cette région de l’Amérique du Sud ; le radeau était propulsé par une voile mais le courant de Humboldt qui porte à l’ouest vers les îles polynésiennes joua un rôle majeur.
La traversée de 8 000 km dura trois mois et demi et fut un succès ; le moment le plus dangereux fut l’arrivée à bord de cette embarcation non manœuvrable sur une île inhabitée des Tuamotu, défendue par une barrière de corail battue par les vagues (source : Wikipedia).

Contigo sur un radeau

« Ne jamais tourner en mer ! » dit un Spielberg exténué après le tournage éprouvant des Dents de la mer. Qui fut rude, mais méritoire : le film est un classique. Sans en dire autant du Waterworld des deux Kevin (Reynolds et Costner), sa version longue disponible à l’import le replace comme très bon film post-apocalyptique et son tournage tout autant mémorable que calamiteux permet le ressenti des embruns au spectateur, qui finit la pellicule la peau salée par la mer – et ce sans l’appel à la technologie 4DX, siouplé ! L’histoire du Kon-Tiki nécessitait cela, la perception du réel, comme dans les deux films précités. Étrangement, même si l’on peut lire ici ou là que la démarche fut la même, on peine à le croire tant le ressenti en est loin. Malgré le fait que ce film fut le plus cher jamais tourné en Norvège (près de 17 Millions selon IMDb), on se croirait parfois dans un film des années 50 tourné en studio. Ca ne tangue pas et les éclaboussures sont rares. L’approche scénaristique, orientée aventure lambda, standardisée dirais-je même, participe de cela. J’en veux ce mélo convenu entre le héros en mer et sa femme esseulée au pays, ou cette anecdote sur un « personnage » ré-écrit, rendu « nerveux » par le scénariste, à la consternation de sa fille, qui conteste les faits. Le coupable s’en explique : « l’aventure sur le radeau s’est trop bien passée en réalité. Il n’y a pas eu de conflit ! Il en fallait pour rendre le film excitant ». Voilà pourtant un poncif de plus qui rend davantage encore anecdotique le film. Il aurait été bienvenu de montrer un esprit d’équipe efficace, justifié par les hostilités en présence – peu de monde accompagna le projet à l’origine – et un vrai contexte de survie, tout comme dans une navette spatiale. Les réalisateurs auraient pu choisir ce prisme, après tout ils avaient déjà abordé la guerre avec Max Manus (tout autant hollywoodisé vers le bas à mon sens). Knut Haugland, opérateur radio sur le bateau, participa, tout de même, à la célèbre bataille de l’eau lourde.

Dans le bouquin que j’ai lu cet été, et un peu dans le documentaire de 1950 disponible sur YT, qui obtint l’Oscar du meilleur doc en 51, on développe l’aventure préalable en Équateur, passionnante quand il s’agit d’aller récupérer dans la jungle des troncs de balsa pour construire le radeau. A la lecture du récit de Thor Heyerdahl, « L’expédition du Kon-Tiki », ce fut carrément épique : on pense au Sorcerer de Friedkin, à Aguirre de Herzog ! Dans le film ? « Et comment trouvera-t-on des troncs de Balsa » dit l’un. « Ben t’es assis dessus », dit l’autre. Le choix de l’ellipse, prévisible, déçoit. Il est vrai que l’aventure en mer ne paraît pas toujours dangereuse à la lecture. On est proche du réel à l’époque, on n’est pas à s’imaginer comme maintenant tel ou tel comportement crédible selon la norme cinéphile du jour. Nos professionnels, organisés, gèrent, s’entraident ; ça fonctionne. Dès lors, on y parle plus souvent de pêche et des différentes sortes de poissons rencontrés. Les requins sont des proies pour ces redoutables navigateurs, qui leur préfèrent plus volontiers le thon. L’échouage sur une île reste impressionnant (dans le livre), et l’émotion – le narrateur du livre et du doc est pragmatique – vient surtout du perroquet, cet animal qui les accompagne sur une bonne partie de leur périple avant de disparaître un beau jour au détour d’une vague. Le film ne gardera pas le perroquet, il lui sera préfèrera un gros requin en vfx, censé être impressionnant, mais commun à force d’en montrer. Ca devient banal et ça sonne faux en fin de compte. A croire, peut-être, que cette histoire est réservée à l’histoire et au documentaire, non à la fiction. Même s’il y avait matière à autre chose.

Toujours est-il qu’avec ce film et leur money shot du requin baleine sous le bras, les réalisateur partiront aux USA tourner un Pirates des Caraïbes et le dernier Maléfique Disney avec Angelina Jolie. Ils ont trouvé là film à leur talent : il est calibré pour la 4DX.

L’impensable / The Unthinkable / Den blomstertid nu kommer (Victor Danell, Suède, 2018) : avis d’un givré

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Alors que la Suède subit une attaque mystérieuse supposée terroriste, Alex est forcé de retourner dans son village natal. Il y retrouve Anna, son amour de jeunesse, ainsi que Bjorn, son père qu’il n’a plus vu depuis plusieurs années. Ensemble, ils devront renouer les liens brisés afin de survivre dans un pays plongé dans le chaos… en attendant le prochain assaut.

Inimaginable !

J’ai déjà évoqué ce film et . J’en attendais peut-être trop, toujours est-il que pour ma pomme voilà une bien cruelle déception. Question mise en scène, jeu d’acteur, vfx, optimisation du budget etc : RAS, c’est du bon, mais alors je ne m’explique pas ce scénario indigent ni cette narration catastrophique. Les p’tits gars de ce collectif suédois Crazy Pictures ont auparavant pondu un max de court-métrages gonflés, imaginatifs, rythmés – checkez la toile – avant de passer à ce long qui ne leur ressemble aucunement. Prépondérance pénible de la nation, 1er degré constant très balourd, poncifs dramatiques, etc : tout s’enchaîne salement. Et on ne décèle aucun humour à l’horizon, ce qui est un comble pour cette équipe que je n’avais pas hésité à comparer aux Monty Python suédois aux vues de leurs travaux !

La narration s’empêtre dans les différents points de vue, nous gratifie d’une mise en place aussi longue qu’éprouvante, peine à agencer les progressions parallèles d’un père et de son fils, nous colle sa première scène d’action sur un autre personnage, une ministre, dont à cet instant on se fout éperdument (!) Enjeux foireux, ennui gênant, générique de fin libérateur… Aïe, en voilà  un sacré nanar ! Mais pourquoi diable ont-ils choisi la difficulté du canevas choral ? Pourquoi vouloir à ce point singer Roland Emmerich ? Allez, c’est évident, peut-être sans doute ce film est-il une énième carte de visite qui ne s’adresse pas au public, mais à Hollywood. Si c’est le cas – le Prix du jury à Gerardmer me donne tort – ok les gars, faites vos trucs dans votre coin, mais attention : beaucoup de spectateurs ne cautionneront pas le CV. Ni les distributeurs à l’usure.

The Guilty (Gustav Möller, DK, 2018)

Une femme, victime d’un kidnapping, contacte les urgences de la police. La ligne est coupée brutalement. Pour la retrouver, le policier qui a reçu l’appel ne peut compter que sur son intuition, son imagination et son téléphone.

Lâchons quelques mots sur ce coupable sympathique, car il est bien fichu, son scénario se tient, le traitement global est bon, la bande son également, tout comme l’acteur qui tient ce huis clos sur ses épaules, le même Jakob Cedergren que dans l’honorable Terribly Happy.
Tout au plus ai-je grillé un twist déjà abordé dans le film (danois aussi, tiens) A Second Chance, de Susanne Bier.
L’on pourra, aussi, se servir de ce concept à base de conversations téléphoniques pour mettre en avant la série française Calls, davantage culottée encore me semble-t-il.
A la réalisation, c’est un premier film, et comme d’habitude avec ce qui nous vient du nord, on espère que l’artiste n’a pas là son ticket pour partir tourner aux USA, et qu’il nous intéressera encore à son Pays sur quelques longs locaux. Qui auront davantage à dire et à montrer qu’un simple exercice de style, aussi réussi soit-il. Il l’est indubitablement, mais je ne ressens pas le besoin ni l’envie de m’étendre davantage sur l’œuvre, ce qui est un signe (soit sur le film, soit sur ma propre évolution de cinéphile, c’est à voir).

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Un flic sur le toit (Bo Widerberg, Suède 1976)

Le commissaire Nyman est assassiné dans la chambre d’un hôpital où il vient de subir une intervention chirurgicale. L’enquête est confiée à Martin Beck, flanqué de son adjoint Einar Rönn.

J’ai vu le couvreur…

Nonobstant les réelles qualités du film, voici l’un des titres les plus stupides jamais lus. Il dévoile à la fois la fonction de l’assassin – où aboutit l’enquête à seulement une heure de métrage – et l’endroit du climax dont on devine la teneur. Le titre suédois était un peu moins explicite, puisque Mammen på taket signifie L’homme sur le toit et cache une partie du puzzle, tandis que celui du bouquin écrit par le couple Maj Sjöwall et Per Wahlöö était autrement plus pertinent : Den vedervärdige mannen från Säffle, L’abominable homme de Säffle (livre édité chez Rivages). C’est important, en cela que ce titre cible la victime initiale, un sale flic ripoux, non celle du tueur dont on partage les motivations sans toutefois cautionner ses actes. C’est un sous-genre à part entière du polar que ce canevas de whodunit où la victime se révèle finalement plus détestable que l’assassin lui-même.

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Si cette histoire veut gratter le vernis d’une Suède trop propre pour mieux en cibler les travers (corruptions diverses et variées), le film ne force pas le trait ni ne choisit de réel point de vue. On ne trouve pas vraiment de constat sociétal, ce que peut-être soulignait davantage le livre. Non, voilà un sale type – vaillamment défendu par son second – assassiné par un gars pourchassé par plein de flics méritant, voilà. Concernant les remous plus ou moins contestataires de l’œuvre, à force d’en voir on sait la dimension cynique de ce type de film, sujet à débat pour mieux créer du buzz et booster les fréquentations. En absence de réelle charge palpable, reste un blockbuster suédois 70’s très fréquentable : mi polar pantouflard côté vieux flics blasés qui enquêtent, mi blockbuster sur le final via quelques jeunes dynamiques, dont la superstar locale Sven Wollter. Le tout est saupoudré d’un zeste de giallo en entrée, le temps d’un meurtre à l’arme blanche particulièrement sanglant (du sang de porc, plus précisément).

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Le minimaliste de l’acteur principal Carl-Gustaf Lindstedt qui incarne le policier Martin Beck (à gauche ci-dessus), souligne bien sa fatigue morale. Revenu de tout, il n’est surpris par rien. Moi, si : que le très sympa Le flic ricanant, polar 70’s américain, soit également adapté d’une histoire de ce même policier de fiction nordique ante-Wallander. Beck y était incarné par le tout aussi nonchalant Walter Matthau (BR/DVD dispo chez Rimini Editions). Ces deux films ont comme autre point commun d’être formellement influencés par la baffe d’alors : le French Connection de William Friedkin. On baigne dans cette fameuse veine réaliste, elle-même post A bout de souffle de Godard ; cette même veine réaliste qui fatigua Roy Andersson, ici réalisateur de seconde équipe, qui, lui, sut davantage s’épanouir dans l’expressionnisme sur sa Trilogie des vivants. D’autres noms célèbres sont greffés à ce Flic sur le toit, comme Bo Vibenius, ici actif à la production, ailleurs réalisateur des (très) trash Thriller et Breaking Point. Il s’agit de mon premier Bo Widerberg. Dans mon collimateur désormais : Adalen 31 et L’homme de Majorque.

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Nous les vivants (Roy Andersson, Suède, 2007)

« Nous, les vivants parle de l’Homme, de sa grandeur et sa misère, sa joie et sa tristesse, sa confiance en soi et son anxiété. Un Homme dont nous voulons rire et pleurer à la fois. C’est tout simplement une comédie tragique ou une tragédie comique à notre sujet. »

N’attendons pas que la mort nous donne du talent (François Valéry)

« Nous les vivants » et non juste « Les vivants » parce que les rares regards lancés à la caméra, dont ceux d’une belle, nous incorporent à ces tranches de vie tragi-comiques bien trouvées. Elles sont en partie inspirées de Laurel et Hardy, qui sont « à la fois très comiques et tristes », dixit le maître.

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Ordonnancées au montage – excepté l’intro et la chute – les séquences s’enchaînent de manière fluide et évitent ainsi les travers du film à sketch. En laissant du temps au temps et en conservant ce fil rouge, les petits, jeunes et vieux vivants, le réalisateur partage sa vision des « choses », car à travers ses plans larges il accorde au moins autant d’importance aux décors qu’aux individus. « Bergman pensait que le visage disait tout sur l’être humain. Moi, je préfère regarder sa chambre. » avoue-t-il, passant un temps monstre à préparer ses vignettes, toutes fignolées en studio tels des dioramas grandeur nature.

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Un décor, la belle ; une étude des couleurs et lumières à se damner.

Les scènes sont pour la plupart des plans fixes mûrement travaillés qui jouent sur la profondeur de champs, l’interaction entre individus au premier plan et d’autres au second, qu’ils aient une importance ou n’incarnent que de simples figurants, tels des objets témoins. C’est original, reposant, frais, mais également très ludique. Cette facétie dans la création évoque parfois Terry Gilliam et les Monty Python, en particulier leur bijou de film à sketchs, Le sens de la vie, au propos tout autant grinçant.

Ses études de cinéma au Dramatiska Institutet de Stockholm rendent Andersson d’abord célèbre en tant que réalisateur de publicités. Elles lui permettent de financer ses longs. Cela répond à ceux qui se demandent pourquoi il ne tourne pas en noir et blanc à ainsi flirter avec des tonalités chromatiques grises (j’ai pensé au dessinateur Serre, pour ma part). « Si vous faites du noir et blanc, c’est un peu trop facile », juge le réalisateur. « On tend immédiatement à penser qu’on fait du bel art et je n’aime pas ça. J’ai commencé avec ces couleurs dans les années 80 parce qu’après 15 ans à tourner des films, je me suis soudain senti très fatigué. Je n’étais pas inspiré par le style réaliste que j’utilisais. Fort heureusement, j’ai trouvé un moyen de contourner ça. J’ai commencé à faire de l’abstrait, inspiré par la peinture, spécialement la période d’entre-deux guerres, dans les années 30, en Allemagne. Mon peintre favori est l’expressionniste Allemand Otto Dix. » Si celui-ci a surtout peint les affres de la 1ère Guerre Mondiale après l’avoir vécue, en farfouillant sur la « toile » on découvre certaines de ses œuvres très clairement connectées à l’univers d’Andersson (ces corps droits, gris…).

 

Oeuvres d’Otto Dix.

Cette austérité devient hilarante et musicale à travers le cinéma, média qu’Andersson découvre pendant les diverses vagues des années 60, après avoir un temps songé à devenir écrivain en lisant Albert Camus. Côté tempo, tout comme Woody Allen il apprécie le style jazz de la Nouvelle Orléans, ayant lui-même joué du trombone dans ses jeunes années. Sur Nous les vivants, il a fait appel à Benny Andersson, du groupe ABBA, qui a composé le début du score. Ensuite vient de la musique académique allemande, puis une reprise d’une chanson populaire sentimentale des années 30, adaptée à la fois pendant un (mémorable) solo de guitare électrique et sur une marche.

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Voilà mon tout premier Andersson. Je commence dans le désordre, puisqu’on a là le film central de sa trilogie des vivants, entamée avec Chansons du 2ème étage en 2000, puis « clôturée » en 2014, soient presque 15 ans plus tard, avec Un Pigeon perché sur une branche (…). Les guillemets sont de rigueur puisque son prochain film, About Endlessness (trad. A propos d’infinité), inspiré des Contes des mille et une nuits, pourrait bien acter une quadrilogie.

Un temps catalogué comme formaliste, Andersson est vu désormais comme un humaniste clairvoyant. « Nous sommes des créatures vulnérables. Vous pouvez nous observer à la fois avec tristesse, humour et peur », estime-t-il.

Sources : Telerama.fr ; Cineuropa.org ; Independent.co.uk