Headhunter : avant-goût et entretien avec le réalisateur Rumle Hammerich

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Quand les lumières de la ville se battent pour faire partie du lustre, tout là-haut là-haut, au dernier plafond du dernier étage de la plus haute tour du château…

Visible en bas d’article, la bande-annonce du premier vrai long métrage cinéma du réalisateur danois Rumle Hammerich laisse entrevoir un thriller urbain mêlant hommes et structures bétonnées. Les infinies turpitudes chaotiques humaines se promènent dans les méandres des angles droits rassurants des grands immeubles aux larges vitres rectangulaires. Ajoutons-y, tant qu’à faire, le cadre tout aussi rectangulaire du film en lui-même. C’est vrai que c’est rassurant, un angle droit. Ca fait carré, c’est bien. Le cinéma aussi. C’est pour ça qu’on l’aime.

Thriller ayant pour aire de jeu pervers les plus hauts échelons du monde des affaires, Headhunter (chasseur de tête) raconte les mésaventures de Martin Vinge, un journaliste de l’extrême devenu brillant chasseur de tête. Un beau jour, il se voit confier une mission confidentielle : trouver un nouvel héritier au plus gros empire pétrolier du Danemark. Alors que Martin recherche des candidats potentiels, il se retrouve rapidement plongé dans un jeu de pouvoir retord, un stratagème brutal qui le jette, lui et ses proches, dans la tourmente.

Résolument moderne parce que dans l’air du temps avec son entreprise comme cadre (rectangulaire ?) tout trouvé pour une intrigue policière sans policier – encore que La Firme de Sydney Polack soit déjà passée par là -, Headhunter nous titille gravement avec sa fascinante bande-annonce. La photo, signée Dan Laustsen (Silent Hill, le Nightwatch d’Ole Bornedal…) y a l’air tout simplement somptueuse et la musique semble assez efficace, composée elle par Jacob Groth, déjà à l’œuvre sur Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de Niels Arden Oplev.

Voilà un excellent trailer qui accomplit bien son office : nous promettre au mieux un chef d’œuvre urbain post Christopher Nolan / Michael Mann, au pire un blockbuster parfaitement calibré, à n’en pas douter dominé par le jeu parfaitement rectangulaire (on y revient) de Lars Mikkelsen, accessoirement frère de Mads. Affaire à suivre soit dans un festival chez nous l’an prochain, pourquoi pas, soit en DVD, à l’arrache, dans les bacs et sans promo, ou encore sur Canal+ numérique n°12 en version française à 23h68, et de préférence un lundi… Pour patienter, voici un entretien avec le réalisateur Rumle Hammerich, qui a eu l’amabilité de répondre à notre petit tas de  quatre questions.

rumleEntretien avec Rumle Hammerich

Rumle Hammerich ne fait pas que posséder un tracteur Fergusson gris de 1954, date de sa naissance, dans sa p’tite ferme. Non, non. En ce qui nous concerne, il réalise plusieurs séries pour la télévision danoise avant de se faire remarquer avec le téléfilm Young Andersen (Unge Andersen), une affabulation sur la jeunesse de l’auteur de contes célèbres, qui ramasse l’Emmy Award 2005 du meilleur téléfilm étranger. Le 28 août 2009, Rumle passe enfin le cap de la case « grand écran » au Danemark, avec Headhunter…

En plus d’être réalisateur, vous êtes scénariste sur ce film : qu’est-ce qui vous a donné l’envie de raconter cette histoire si particulière ?

Rumle Hammerich – Nous [avec Åke Sandgren] en sommes venus à l’idée du chasseur de tête parce que c’est LE boulot d’espion d’aujourd’hui. Vous vous devez d’être astucieux, futé, avoir un réseau, savoir comment jouer vos cartes… Mon cousin est chasseur de tête à Londres. J’ai enregistré une longue interview avec lui pour savoir comment il travaillait. Après, on a trouvé ce challenge au sein de cette multinationale. J’ai découvert, en lisant beaucoup de livres sur l’histoire des entreprises, qu’il y a toujours une grosse compétition dans le privé pour savoir qui prendra le pouvoir. L’intrigue nous est alors apparue facilement. Le sujet principal traite des pères et de leurs fils, des attentes d’un père et de sa réaction face à un fils qui ne répond pas à ses attentes.

Parlez-nous un peu de votre collaboration avec l’acteur Lars Mikkelsen [qui tient le rôle principal, celui de Martin Vinge]…

Lars et moi ne parlions pas beaucoup au début. Il aimait beaucoup le scénario et nous avons convenu qu’il devait beaucoup s’entraîner physiquement pour le film. Nous imaginions tous les deux le personnage comme quelqu’un d’assez physique. Lars s’est entraîné pendant 4 mois pour pouvoir tourner la scène dans les toilettes.  Nous avons parlé des costumes, des ennuis de Martin… Puis, dès qu’on a été sur la même longueur d’onde, on a arrêté de parler. Pendant le tournage nous étions vraiment proches l’un de l’autre, à toujours essayer de perfectionner son personnage.

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Avez-vous réclamé à Dan Laustsen, le directeur de la photographie, une orientation particulière quant à son travail ?

Dan et moi sommes sortis diplômés de la même école de cinéma en 1979. Il a travaillé sur mes films d’école, mes premières réalisations et quelques documentaires tournés au Bhoutan. On s’est perdus de vue pendant environ 25 ans, sauf pour quelques publicités. Récemment, comme les projets internationaux de Dan peinaient à démarrer on en a profité pour retravailler ensemble. C’est vraiment chouette de retrouver un vieux copain. On n’avait pas besoin de beaucoup parler. Dan est un type génial, il sait très bien travailler sur les lumières, il a un sens du cadre formidable. On voulait faire un film cool comme ceux qu’on voyait dans les années 70. Dan a eu l’idée de tous ces arrière plans cools et de cette lumière chaleureuse placée au plus près des acteurs.

Pour finir, pouvez-vous nous laisser un souvenir du tournage de Headhunter ?

C’est mon premier film en cinémascope. J’ai vraiment adoré ce format. Je pense qu’il y a deux ou trois plans seulement qui pourraient être faits dans un autre format. C’est ce qui a dominé l’ensemble du projet.

Sorti le 28/08 dernier au Danemark

Site officiel (dk)

Flickan (The Girl) : avant-goût et entretien avec le directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema

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Si l’on s’amuse à parler d’un film suédois récent photographié par le hollandais Hoyte Van Hoytema ayant pour héroïne une jeune fillette pâlotte errant dans la nature au début des années 80, l’œuvre qui vient tout de suite à l’esprit c’est Let The Right One In, à savoir le monstrueux (l’éléphantesque ?) Morse par chez nous. La preview du jour ne concerne pourtant pas le métrage de Tomas Alfredson mais Flickan (The Girl en anglais, facile, tout est dans le titre), le premier film remarqué d’un Fredrik Edfledt jusqu’ici réalisateur de pub chez ACNE Films, qui produit Flickan, et de quelques courts métrages, dont Vanya knows en 2006.

La petite Flickan s’est illustrée dans plusieurs festivals : celui de Berlin ou encore le plus récent de Karlovy Vary, République tchèque, en juillet dernier, où l’œuvre était projetée dans le cadre d’une sélection effectuée par le célèbre magazine ciné outre-atlantique Variety.

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Dans une maison isolée en pleine campagne, une petite fille de 10 ans s’apprête à faire ses premiers pas hors du monde de l’enfance. Elle doit passer ses vacances d’été avec sa tante bohémienne tandis que ses parents s’en vont en Afrique rejoindre une mission humanitaire. Mais rapidement, la tante, peu digne de confiance, s’en va avec un homme en laissant la fillette toute seule…

La bande-annonce laisse augurer un très beau film, à la fois simple et envoûtant. La mention « film de genre » frôle la chose mais ne s’y colle pas nécessairement, le film se rapprochant a priori davantage du conte initiatique enfantin que du trip à la Peter Weir (Pique-nique à Hanging Rock) ou même à la Peter Jackson, celui, sensible et « walshisé », de Créatures Célestes, et, certainement, du prochain Lovely Bones.

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Entretien avec Hoyte Van Hoytema

A Hoyte Van Hoytema, avec son Gulbagge Award de la meilleure photo pour Morse sous le bras, de se confier un peu à un givré d’la bobine quant à son expérience sur Flickan.

Arno Ching-wan – Quelles difficultés avez-vous rencontré sur ce film ?

Hoyte Van Hoytema – Je me souviens du tournage de Flickan comme d’un très bon moment : une équipe réduite et un seul endroit pour faire l’intégralité des prises ont aidé à ce que je me concentre sur l’essentiel. Le challenge technique était peut-être de rendre compte d’un été torride alors que nous avions un temps très mitigé, pas du tout celui que l’on voit désormais à l’écran. La plupart des scènes d’intérieur sont éclairées non pas par le soleil mais par des lumières artificielles.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre collaboration avec le réalisateur Fredrick Edfeldt ?

Fred est quelqu’un de très calme, et quelquefois même d’assez introverti. Mais une fois qu’on apprend à le connaître on découvre une personne très colorée, pleine d’humour, avec un goût distingué pour la mise en scène, les images… Un peu comme une bouteille d’un bon vin.

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Dans Flickan vous mettez en avant la jeune actrice Bianca Engström après avoir fait de même avec Lina Leandersson pour les besoins de Let The Right One In. Quelle différence feriez-vous entre vos deux travaux successifs ?

Elles étaient toutes deux très charismatiques et photogéniques. En d’autres mots, assez faciles à photographier. Mon travail est déjà fait à 50% avec un bon casting. Mais chaque film a requis une approche différente. Je pense que ces deux films sont très différents. Je les ai abordés différemment en tout cas.

Quel souvenir fort gardez-vous de Flickan ?

Sur Flickan j’ai fait l’un des plus beaux plans de ma carrière. Il n’a pas été retenu au montage…

Sortie ciné : 10/08/09 en Suède. Non définie en France.

Source photo Hoyte Van Hoytema : fujifilm.com

Entretien avec le compositeur Bardi Johannsson, à propos de Häxan

photo_bang-gang_profileAuréolé du prix de la meilleure musique de film aux derniers Icelandic Awards pour le thriller Reykjavik-Rotterdam d’Óskar Jónasson, Barði Jóhannsson est passé à Orléans le temps d’un ciné concert autour du film culte Haxan de Benjamin Christensen (1922 pour le film, 2006 pour ce score). Petit entretien avec un monsieur ambitieux…

Pourquoi Haxan ?

Bardi Johannsson – On m’a d’abord demandé de faire la musique pour le Viva Mexico d’Eisenstein (1932). Son dernier film, qu’il n’a pas pu finir. Comme je le trouvais très ennuyeux, je n’ai pas voulu travailler dessus. Rien ne m’inspirait. On me l’a proposé dans le cadre du Forum des Images, à Paris. Ils m’ont suggéré ce film, que je n’ai pas aimé, puis deux autres, dont Haxan. Comme j’ai aimé Haxan, j’ai dit oui.

Avez-vous utilisé une partie de votre score démarré sur Viva Mexico ?

Non, je n’avais strictement rien composé pour Viva Mexico.

Depuis sa création en 1922, Haxan a bénéficié de beaucoup de scores différents… un an après votre version de 2006, au moins trois autres compositions ont été faites, deux anglaises et une suédoise. Avez-vous écouté toutes les versions musicales d’Haxan ?

Non. J’ai du en écouter une seule, que j’ai d’ailleurs trouvée très mauvaise.

Laquelle ?

Il y avait un orchestre symphonique, qui n’allait pas du tout avec le film j’ai trouvé. C’est peut être suédois, je ne sais pas, mais c’était vraiment nul.

A part votre propre inspiration, d’autres musiques d’autres compositeurs vous ont-elles influencé pour ce score ?

Non, pas du tout. Ma musique représente mon sentiment par rapport à ce film. Je me désintéresse de ce que font les autres, je ne veux pas copier quoi que ce soit ou penser à quelqu’un d’autre lorsque je crée une musique.

Vous vous appropriez complètement le film…

Oui. Après, les gens aiment ou pas, c’est très personnel.

Moi, par exemple, j’ai beaucoup aimé votre composition, mais il m’a semblé que certains passages du film recelaient un sens de l’humour certain, ce que vous n’avez pas du tout souligné. Pourquoi ?

haxanHaxan a été fait au début des années 20, il n’y a aucun humour dans ce film. Ca l’est pour nous parce que nous en savons davantage sur le sujet, mais dans les années 20 ça n’était pas le cas, c’était effrayant pour le public de cette époque. Nous sommes plus informés, plus habitués à la technologie, mais en ce temps là les gens n’avaient jamais vu une chose pareille, c’était comme de la magie pour beaucoup d’entre eux.

Je pense à la scène du chapitre 2, dans laquelle une sorcière fabrique une potion d’amour pour une femme amoureuse d’un moine qui s’en va lui courir après une fois la chose ingurgitée. C’est assez léger à cet endroit…

En 1922 ils devaient surcharger les scènes émotionnelles pour que cela fonctionne. Ils devaient en faire trop. Je crois sincèrement que pour les gens de cette époque il n’y avait vraiment rien de drôle dans ce film. Ils avaient peur. C’est pour cela que je ne voulais pas jouer sur l’humour dans ce film, je voulais conserver l’ambiance pour laquelle il était fait. C’est très sérieux comme histoire.

Votre musique est assez puissante sur plusieurs passages, en particulier ce thème avec lequel vous ouvrez et fermez le film. Pourquoi l’avez-vous utilisé à deux reprises ?

Haxan commence avec une explication et se termine avec une autre explication, j’ai voulu travailler là-dessus. Le film s’ouvre avec une description du passé puis se ferme avec une démonstration expliquant le film aux gens des années 20. Bien sûr on trouve ce qu’ils disent amusant, mais quand le film est sorti c’est ce que croyaient les gens. Le réalisateur Benjamin Christensen expliquait une réalité qui n’en est plus une. De nos jours on en sait davantage. En 1920, il disait que ceux du moyen âge étaient dans l’erreur, mais aujourd’hui on pourrait dire qu’ils n’avaient pas pour autant raison en 1920…

Sur quel sujet ? L’hystérie, par exemple ?

Oui. On en sait plus sur la médecine, la psychologie… Mais on doit respecter…

… les visions de cette époque, leur point de vue selon leur degré de connaissance…

Oui. Mais c’est la raison pour laquelle je voulais commencer et finir avec le même thème.

Combien de temps avez-vous mis pour créer cette œuvre musicale ?

Cela a été très long ! Le score a été fait en deux temps. D’abord avec l’électronique, ensuite avec un orchestre symphonique. Cela m’a pris des mois. J’ai mixé les deux créations, la symphonique et l’électronique… J’ai passé tellement de temps à enregistrer par-dessus la version orchestrale, à refaire la composition… Il y a eu une première version, puis deux, puis trois… En fait, j’y serais encore si je n’avais pas eu un délai à respecter ! Je pourrais travailler sur ma musique sans arrêt, tout le temps…

Après ce score, vous avez fait d’autres choses, importantes…

reykjavik-rotterdamOui, j’ai eu un prix pour ma composition pour le film Reykjavik-Rotterdam (2008), j’ai fait aussi deux autres musiques de films islandais.

Vous n’avez rien de prévu en ce qui concerne l’étranger ?

Non. J’ai fait ces trois films islandais et également de la musique pour des séries télé.

Que pensez-vous des films islandais actuellement ? Est-ce que le crise économique, importante en Islande, joue sur l’industrie du cinéma ?

Non, le gouvernement investit de plus en plus dans le cinéma. Nous sommes à un pic en ce moment, il y a un gros sponsorat.

Savez-vous pourquoi ? Dans toute la Scandinavie, et pas seulement en Islande, de plus en plus de bons films font leur apparition…

Oui, je pense qu’il y a de bons films à venir. J’ai jeté un œil à ce qui se prépare, ça a l’air plutôt bon.

Une dernière question : sur quel type de film aimeriez-vous travailler ?

Il y a trois réalisateurs avec lesquels j’aimerais beaucoup travailler. Dario Argento, David Cronenberg et…

Dario Argento ? Vous aimeriez vous confronter aux fameuses partitions des Goblins ?

Je pense pouvoir faire mieux qu’eux.

Ah… ok.

… Dario Argento, David Cronenberg et David Lynch. Ce sont les trois réalisateurs avec qui j’aimerais collaborer.

Ce sont trois réalisateurs aux univers très particuliers, très étranges…

J’aime l’intensité des œuvres de David Cronenberg.

Ce qu’il fait actuellement est plus posé que ces œuvres précédentes.

Cela ressemble plus à des films d’action, en effet. Mais ce sont de bons films d’action. David Lynch, lui, fait toujours la même chose (rire).

De la même façon, vous pensez faire mieux que son compositeur Angelo Badalamenti…

Oui. Quant à Dario Argento, je crois qu’il a besoin d’un peu de rafraîchissement. Peut-être d’un rafraîchissement musical également…

Propos recueillis à Orléans le 25/05.
Merci au Cinéma Les Carmes d’Orléans.

Source photo Bardi Johannsson : emimusicpub.com.

Beaune 2009 : Entretien avec Nicolas Winding Refn, à propos de Bronson

refnLe lendemain de la projection de Bronson, rendez-vous est pris pour interviewer son réalisateur Nicolas Winding Refn. Nonchalance, convivialité, ambiance tamisée d’un des hôtels les plus luxueux de Beaune… Au réalisateur, curieux, de poser d’abord les questions.

Nicolas Winding Refn – Vous avez aimé le film ?

Arno Ching-wan – Oui, il est très bon.

Et comment avez-vous réagi ? Quelle a été votre première réaction ?

Eh bien… je planais un peu, j’étais ailleurs. Votre film est très irréel, onirique. Du reste, j’ai lu une ITW de vous dans laquelle vous dites que c’est ce que vous souhaitiez.

Je souhaitais masquer la réalité. Je voulais faire un opéra, quelque chose de plus imposant que la vraie vie. L’aspect artistique du personnage m’est apparu si important que la réalité, finalement, ne l’était plus tant que ça. Ca n’est pas un biopic sur Charles Bronson. Je me suis intéressé au concept suivant : devenir Charles Bronson, se transformer soi-même en quelque chose d’autre.

Ce côté opéra, c’est pourquoi peut-être beaucoup pensent à Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Moi-même j’avoue avoir pas mal pensé au film Arizona Junior des frères Coen. Leur humour n’est pas loin…

(rires) Je connais ce film, vous êtes la première personne à le mentionner. C’est un grand film ! J’adore ce film, je l’adore.

L’état second du personnage principal [joué par Nicolas Cage] se rapproche assez de celui de Bronson.

L’absurdité, surtout.

Oui. D’ailleurs en France on dit que « l’humour est la politesse du désespoir ». Comme votre film en est plein, peut-on dire qu’il est également rempli de désespoir ?

Je trouve que c’est une analyse très intéressante. En plus des œuvres que vous citez, j’aimerais ajouter celles de Lindsay Anderson : O Lucky Man !, If…  il y a beaucoup de lui dans Bronson, cette agression nihiliste qu’avait Lindsay Anderson. Mais oui, je pense qu’il y a une frontière très mince entre le désespoir et l’humour. Comme pleurer est l’opposé de rire. Si vous pouvez équilibrer ce que vous faites avec ces deux émotions, vous arrivez à jouer avec le cœur du public. Vous arrivez à créer de plus en plus d’émotion. Et quand les gens disent « Oh, votre film me rappelle ceci, me rappelle cela… », j’ai envie de leur dire « merci ». Ce sont des grands films. Bien sûr, j’emprunte ce que je peux. J’ai rencontré William Friedkin l’autre jour, je lui ai dit : « William, comment ça va ? Je vous ai tout volé pour faire la trilogie Pusher ! » La trilogie Pusher est liée à French Connection, à son langage…

Vous dites de Bronson qu’il est autobiographique. Parfois, pendant la projection de Bronson, je pensais à Pusher 2, justement, à tel point qu’à la fin je m’attendais à voir le mot « respect » tatoué sur la nuque de Bronson. Pusher 2 était-il lui aussi autobiographique ?

Pusher 2 n’est pas une biographie. Je venais juste d’avoir mon premier enfant et je voulais transmettre mon désespoir, mes peurs. Proposer au spectateur de changer, de devenir un meilleur être humain. Bronson est plus une biographie sur comment je suis devenu ce que je suis, ce qui est très différent.

De façon artistique ?

Bronson… Je n’ai jamais rencontré Michael Peterson. Je n’ai aucun intérêt pour Michael Peterson. Je ne suis pas britannique. Je ne comprends pas ces dérives politiques, qu’elles viennent des autorités ou de gens qui pensent qu’il est innocent et doit être libéré.

Il y a d’ailleurs un site internet, www.freebronson.co.uk, qui se sert de votre film comme d’un argument pour libérer Charlie Bronson.

En Angleterre le film a malheureusement été politisé. Je leur ai dit que je n’avais pas fait ce type de film. Mon film parle de moi, vraiment. Je me suis servi de la transformation de Charlie Bronson pour représenter la mienne. Quand j’étais jeune j’étais vraiment nihiliste, autodestructeur. J’avais un côté sombre en moi. J’étais prêt à tout affronter, tout le monde autour de moi. Mais je ne pouvais pas. Déjà, ma condition physique ne me le permettait pas ! Mais je ne suis pas devenu violent, non.

Grâce au cinéma ?

Peut-être. Peut-être que vous avez raison, parce qu’avec ma dépendance à la télévision et aux films j’étais capable d’exorciser cette partie de moi. Si je n’avais pas eu ça, les choses auraient probablement été différentes pour moi. Quand j’étais adolescent, une adolescence tardive, vers 20 ans, je voulais être très célèbre. Je ne sais pas… Bronson dit dans le film qu’il ne savait pas chanter, qu’il ne savait pas danser, qu’il ne savait pas jouer la comédie, qu’il n’avait pas de compétences particulières… Je n’ai pas eu beaucoup d’options, je devais trouver ce pour quoi j’étais bon. J’ai tout affronté, surtout toute forme d’autorité qui pensait ce qui était bon pour moi. Je l’ai dégagée.

Peut-être n’êtes vous pas seul dans ce cas. Dans un autre film qui a beaucoup de points communs avec le vôtre : The Wrestler (Darren Aronofsky), le personnage principal, joué par Mickey Rourke, est également physiquement fort, porte aussi un nom de scène, vit à travers ce nom de scène, et il a lui aussi un comportement autodestructeur. Vous avez un peu fait ce même type de film et sans doute que d’autres feront la même chose après vous. Pensez-vous que c’est par pur hasard ou bien parce qu’il y a une sorte de lucidité collective quant à la difficulté d’être un homme de nos jours ? Je veux dire : un homme libre, fort…

Wow…

Ma question est peut-être stupide…

C’est une très bonne question, parce que je pense que cela relativise les choses. Je crois que ce que font les autres reflète l’époque. Je pense que… Je n’ai pas vu the Wrestler, mais j’ai entendu dire ailleurs que ce film parle d’une personne brisée qui essaye de reconstruire sa vie. Bronson porte davantage sur un homme qui se cherche, et lorsqu’il se trouve il réalise qu’il n’a pas besoin de combattre pour exorciser ce qu’il a à l’intérieur de lui. Il lui suffit d’extraire sa douleur et de créer, à l’extérieur de lui. Là, enfin, il devient satisfait, il devient un être humain entier. Mais il va devoir continuer, toujours. C’est comme faire une peinture. Une fois terminée, les émotions, le désespoir, reviennent, et vous savez qu’alors il va vous falloir recommencer. Ce que je fais avec mes propres films. A chaque fois que j’en termine un je suis soulagé d’avoir été capable de le finir, mais ensuite je dois recommencer. Je suis si fatigué… Mais je dois le faire, pour exorciser quelque chose de vraiment sombre en moi. Autrement cela me dévore. C’est très nihiliste.

Afin d’exister ? Juste pour pouvoir exister ?

Cela peut sembler un peu prétentieux. Mais oui, parce que je ne sais pas quoi faire de tout ce qui m’entoure. J’ai des enfants maintenant, une femme, j’ai besoin d’être là. J’ai besoin d’être là pour mes enfants, je dois me débarrasser de mes démons. Pour être la chose la plus importante. Si on vous demande si vous avez été bon avec vos enfants, si vous répondez « oui », vous allez au paradis. Si vous ne savez pas répondre, vous allez en enfer. Cette façon un peu religieuse de voir ma vie sera probablement dans mon prochain film. Quand je fais des films, cela reflète ce que je suis et où je suis, à cet instant, dans ma vie.

Vous parlez de Valhalla Rising ou du suivant ?

Valhalla est actuellement en post-production, j’ai enchaîné très vite Bronson et Valhalla Rising.

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(Ci-dessus Refn présente son film Bronson au public de Beaune)

Revenons sur Bronson et Pusher 2, deux films qui sont, de façon différente, en partie autobiographiques. Dans ces deux films le personnage principal a des problèmes avec les femmes. De réels problèmes. Est-ce là une sorte de confession de votre part quant à…

Non, je ne pense pas. Non, en aucune façon, j’adore les femmes ! J’adore être entouré de femmes et je préfère être avec des femmes qu’avec des hommes. Mes films sont d’une certaine façon très féminins. Mais j’insiste, Pusher 2 n’est PAS autobiographique, il représente juste mon désespoir. Bronson EST autobiographique, ce sont deux choses bien différentes.

Parce que dans Bronson… Le vrai Bronson a reçu beaucoup de lettres enflammées de femmes, et il a même été un temps marié à une femme, une musulmane, faits que vous avez écartés de votre film.

Parce que cela ne m’intéressait pas. Mais je n’ai pas pour autant de réserves à ce sujet… Je veux faire un film sur les femmes. Je veux dire, j’aimerais vraiment faire un film sur les femmes !

Oh ! Un « Charlie’s Angels 3 » ?

Oui ! Oh mon Dieu, j’adorerais faire ça ! J’adorerais faire n’importe quoi qui ne traiterait que de cela : les femmes ! Et pas les hommes. Je ne suis pas un homme très masculin, je ne fais pas de sports, je ne bois pas de bières… J’ai des filles vous savez, j’aime les poupées Barbie, j’aime Cendrillon, j’aime les choses qui sont roses… Mais ce que vous dites est intéressant parce que… je crois que nous avons tous des problèmes avec les femmes, on lutte avec ça, mais dans mes films les femmes sont toujours idéalisées, mises sur un piédestal, elles sont plus futées que les hommes… Est-ce que cela à un sens ?

Euh… Oui, mais cela sera peut être un gros challenge, pour vous, de faire un film uniquement sur des femmes.

J’ai besoin de ce challenge.

C’en sera probablement un, oui. Mais revenons sur Bronson : une grande importance a été donnée aux sons, à la musique, aux voix… Comment avez-vous abordé ce point là ?

Techniquement, ce que j’ai fait… Le film traite juste de la transformation d’un homme, et l’outil premier que j’avais c’était la performance de Tom Hardy. Soudain, ces petites choses qui semblent d’abord sans importance le sont devenues. Vous l’avez bien souligné. Mais la performance de Tom joue beaucoup sur ce point là. Ce film est une collaboration entre moi, Larry Smith, le directeur de la photographie, Tom, et mon monteur, Matt Newman. Ensemble, on a mis dans ce film tous les sons, des bruits de portes qui se ferment, la musique… tout ce qu’on entend dans le film.

A propos de la musique, justement, vous utilisez à la fois de la musique classique et de la pop des années 80. Les Pet Shop Boys ! Cela faisait des années que je ne les avais pas entendus ! Le mélange est si étrange…

Oui, c’était comme piocher tout ce qu’il y avait autour et… Le film commence vraiment comme une œuvre de pop culture. De la pop eighties. Les morceaux classiques font ensuite de plus en plus partie de l’histoire parce que la vie de Charlie devient de plus en plus opératique.  C’est progressif. Mais ce que je fais toujours quand je crée un film, c’est essayer de me mettre dans la peau d’un musicien pour savoir quel genre de musique ce serait. Au début de la conception du film, j’écoutais du Pet Shop Boys 24 heures sur 24. C’était alors un film foncièrement lié aux Pet Shop Boys. C’est petit à petit que j’en suis venu à mettre de la musique classique. Cela m’est venu à la fin, lorsque Bronson prend le professeur d’arts en otage. A cet instant je me suis dit que le film était plus un opéra qu’un film pop. J’ai beaucoup joué là-dessus, ensuite, au montage.

Quel type de musique allez-vous utiliser sur Valhalla ?

Valhalla est le film le plus dur que j’ai fait à ce niveau parce que j’ai eu du mal à trouver, justement. Je me trouvais sur les collines d’Ecosse, au milieu de nulle part, avec autour de moi cette incroyable force de la nature. Soudain la musique pour décrire le film m’est venue : le vent. Le son de la nature.

Vous allez utiliser un son naturel ou bien avez-vous demandé à votre compositeur de jouer là-dessus ?

Je pense que je dois me concentrer sur cette nature. Nous sommes en post-production et… C’est le chemin que je prends. C’est fascinant, c’est très intéressant. Mais cela m’a pris du temps pour en arriver là, j’avais besoin de tester plusieurs choses… On a presque fini mais on a dû essayer tant de choses différentes… C’était très intéressant de travailler comme ça. La difficulté n’est pas de trouver la bonne musique, c’est de trouver celle qui ne l’est pas. Quand j’arrive sur un plateau, j’éprouve du plaisir à créer dans l’instant. Je ne sais pas toujours ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux pas. Et aussi parce que je réalise mes films dans l’ordre chronologique. Vous savez : scène 1, scène 2… Les choses prennent vie naturellement, progressivement, et votre travail consiste à aider cette construction.

Dans Bronson les scènes dans le théâtre ont-elles aussi été tournées chronologiquement ?

Oui. Vous savez, le public était rempli de poupées gonflables. Il y avait seulement entre 10 et 20 personnes dans la salle, tout le reste n’était composé que de poupées gonflables. J’espère que vous avez aimé le film.

Pour tout vous avouer, j’attendais Valhalla Rising et c’est Bronson qui est arrivé. Pour moi ce film est une vraie surprise. Esthétiquement, surtout, on est visuellement loin de la trilogie Pusher.

C’est différent. L’élément de surprise est important. C’est pourquoi j’ai décidé de faire Bronson avant Valhalla. Les gens pensent savoir ce qu’il vont avoir mais non ! Je ne veux pas être contrôlé, je ne veux pas… Je suis comme un gosse.  Le professeur d’arts dit à Bronson : « Tu auras toujours ce que tu veux ». Et Bronson répond : « mais bordel, que savez vous de ce que je veux ! ? » Donc je trouve intéressant que le public, qui s’attend à quelque chose, obtiennent quelque chose d’un peu différent.

Valhalla Rising va-t-il être une surprise ?

Oui !

Donc pas de Braveheart n° 12 à l’horizon ?

En aucune façon !

Propos recueillis à Beaune le 04 avril 2009
Merci à Céline Petit du Public Système

(Photo empruntée à http://www.moviescopemag.com)