Le lendemain de la projection de Bronson, rendez-vous est pris pour interviewer son réalisateur Nicolas Winding Refn. Nonchalance, convivialité, ambiance tamisée d’un des hôtels les plus luxueux de Beaune… Au réalisateur, curieux, de poser d’abord les questions.
Nicolas Winding Refn – Vous avez aimé le film ?
Arno Ching-wan – Oui, il est très bon.
Et comment avez-vous réagi ? Quelle a été votre première réaction ?
Eh bien… je planais un peu, j’étais ailleurs. Votre film est très irréel, onirique. Du reste, j’ai lu une ITW de vous dans laquelle vous dites que c’est ce que vous souhaitiez.
Je souhaitais masquer la réalité. Je voulais faire un opéra, quelque chose de plus imposant que la vraie vie. L’aspect artistique du personnage m’est apparu si important que la réalité, finalement, ne l’était plus tant que ça. Ca n’est pas un biopic sur Charles Bronson. Je me suis intéressé au concept suivant : devenir Charles Bronson, se transformer soi-même en quelque chose d’autre.
Ce côté opéra, c’est pourquoi peut-être beaucoup pensent à Orange Mécanique de Stanley Kubrick. Moi-même j’avoue avoir pas mal pensé au film Arizona Junior des frères Coen. Leur humour n’est pas loin…
(rires) Je connais ce film, vous êtes la première personne à le mentionner. C’est un grand film ! J’adore ce film, je l’adore.
L’état second du personnage principal [joué par Nicolas Cage] se rapproche assez de celui de Bronson.
L’absurdité, surtout.
Oui. D’ailleurs en France on dit que « l’humour est la politesse du désespoir ». Comme votre film en est plein, peut-on dire qu’il est également rempli de désespoir ?
Je trouve que c’est une analyse très intéressante. En plus des œuvres que vous citez, j’aimerais ajouter celles de Lindsay Anderson : O Lucky Man !, If… il y a beaucoup de lui dans Bronson, cette agression nihiliste qu’avait Lindsay Anderson. Mais oui, je pense qu’il y a une frontière très mince entre le désespoir et l’humour. Comme pleurer est l’opposé de rire. Si vous pouvez équilibrer ce que vous faites avec ces deux émotions, vous arrivez à jouer avec le cœur du public. Vous arrivez à créer de plus en plus d’émotion. Et quand les gens disent « Oh, votre film me rappelle ceci, me rappelle cela… », j’ai envie de leur dire « merci ». Ce sont des grands films. Bien sûr, j’emprunte ce que je peux. J’ai rencontré William Friedkin l’autre jour, je lui ai dit : « William, comment ça va ? Je vous ai tout volé pour faire la trilogie Pusher ! » La trilogie Pusher est liée à French Connection, à son langage…
Vous dites de Bronson qu’il est autobiographique. Parfois, pendant la projection de Bronson, je pensais à Pusher 2, justement, à tel point qu’à la fin je m’attendais à voir le mot « respect » tatoué sur la nuque de Bronson. Pusher 2 était-il lui aussi autobiographique ?
Pusher 2 n’est pas une biographie. Je venais juste d’avoir mon premier enfant et je voulais transmettre mon désespoir, mes peurs. Proposer au spectateur de changer, de devenir un meilleur être humain. Bronson est plus une biographie sur comment je suis devenu ce que je suis, ce qui est très différent.
De façon artistique ?
Bronson… Je n’ai jamais rencontré Michael Peterson. Je n’ai aucun intérêt pour Michael Peterson. Je ne suis pas britannique. Je ne comprends pas ces dérives politiques, qu’elles viennent des autorités ou de gens qui pensent qu’il est innocent et doit être libéré.
Il y a d’ailleurs un site internet, www.freebronson.co.uk, qui se sert de votre film comme d’un argument pour libérer Charlie Bronson.
En Angleterre le film a malheureusement été politisé. Je leur ai dit que je n’avais pas fait ce type de film. Mon film parle de moi, vraiment. Je me suis servi de la transformation de Charlie Bronson pour représenter la mienne. Quand j’étais jeune j’étais vraiment nihiliste, autodestructeur. J’avais un côté sombre en moi. J’étais prêt à tout affronter, tout le monde autour de moi. Mais je ne pouvais pas. Déjà, ma condition physique ne me le permettait pas ! Mais je ne suis pas devenu violent, non.
Grâce au cinéma ?
Peut-être. Peut-être que vous avez raison, parce qu’avec ma dépendance à la télévision et aux films j’étais capable d’exorciser cette partie de moi. Si je n’avais pas eu ça, les choses auraient probablement été différentes pour moi. Quand j’étais adolescent, une adolescence tardive, vers 20 ans, je voulais être très célèbre. Je ne sais pas… Bronson dit dans le film qu’il ne savait pas chanter, qu’il ne savait pas danser, qu’il ne savait pas jouer la comédie, qu’il n’avait pas de compétences particulières… Je n’ai pas eu beaucoup d’options, je devais trouver ce pour quoi j’étais bon. J’ai tout affronté, surtout toute forme d’autorité qui pensait ce qui était bon pour moi. Je l’ai dégagée.
Peut-être n’êtes vous pas seul dans ce cas. Dans un autre film qui a beaucoup de points communs avec le vôtre : The Wrestler (Darren Aronofsky), le personnage principal, joué par Mickey Rourke, est également physiquement fort, porte aussi un nom de scène, vit à travers ce nom de scène, et il a lui aussi un comportement autodestructeur. Vous avez un peu fait ce même type de film et sans doute que d’autres feront la même chose après vous. Pensez-vous que c’est par pur hasard ou bien parce qu’il y a une sorte de lucidité collective quant à la difficulté d’être un homme de nos jours ? Je veux dire : un homme libre, fort…
Wow…
Ma question est peut-être stupide…
C’est une très bonne question, parce que je pense que cela relativise les choses. Je crois que ce que font les autres reflète l’époque. Je pense que… Je n’ai pas vu the Wrestler, mais j’ai entendu dire ailleurs que ce film parle d’une personne brisée qui essaye de reconstruire sa vie. Bronson porte davantage sur un homme qui se cherche, et lorsqu’il se trouve il réalise qu’il n’a pas besoin de combattre pour exorciser ce qu’il a à l’intérieur de lui. Il lui suffit d’extraire sa douleur et de créer, à l’extérieur de lui. Là, enfin, il devient satisfait, il devient un être humain entier. Mais il va devoir continuer, toujours. C’est comme faire une peinture. Une fois terminée, les émotions, le désespoir, reviennent, et vous savez qu’alors il va vous falloir recommencer. Ce que je fais avec mes propres films. A chaque fois que j’en termine un je suis soulagé d’avoir été capable de le finir, mais ensuite je dois recommencer. Je suis si fatigué… Mais je dois le faire, pour exorciser quelque chose de vraiment sombre en moi. Autrement cela me dévore. C’est très nihiliste.
Afin d’exister ? Juste pour pouvoir exister ?
Cela peut sembler un peu prétentieux. Mais oui, parce que je ne sais pas quoi faire de tout ce qui m’entoure. J’ai des enfants maintenant, une femme, j’ai besoin d’être là. J’ai besoin d’être là pour mes enfants, je dois me débarrasser de mes démons. Pour être la chose la plus importante. Si on vous demande si vous avez été bon avec vos enfants, si vous répondez « oui », vous allez au paradis. Si vous ne savez pas répondre, vous allez en enfer. Cette façon un peu religieuse de voir ma vie sera probablement dans mon prochain film. Quand je fais des films, cela reflète ce que je suis et où je suis, à cet instant, dans ma vie.
Vous parlez de Valhalla Rising ou du suivant ?
Valhalla est actuellement en post-production, j’ai enchaîné très vite Bronson et Valhalla Rising.

(Ci-dessus Refn présente son film Bronson au public de Beaune)
Revenons sur Bronson et Pusher 2, deux films qui sont, de façon différente, en partie autobiographiques. Dans ces deux films le personnage principal a des problèmes avec les femmes. De réels problèmes. Est-ce là une sorte de confession de votre part quant à…
Non, je ne pense pas. Non, en aucune façon, j’adore les femmes ! J’adore être entouré de femmes et je préfère être avec des femmes qu’avec des hommes. Mes films sont d’une certaine façon très féminins. Mais j’insiste, Pusher 2 n’est PAS autobiographique, il représente juste mon désespoir. Bronson EST autobiographique, ce sont deux choses bien différentes.
Parce que dans Bronson… Le vrai Bronson a reçu beaucoup de lettres enflammées de femmes, et il a même été un temps marié à une femme, une musulmane, faits que vous avez écartés de votre film.
Parce que cela ne m’intéressait pas. Mais je n’ai pas pour autant de réserves à ce sujet… Je veux faire un film sur les femmes. Je veux dire, j’aimerais vraiment faire un film sur les femmes !
Oh ! Un « Charlie’s Angels 3 » ?
Oui ! Oh mon Dieu, j’adorerais faire ça ! J’adorerais faire n’importe quoi qui ne traiterait que de cela : les femmes ! Et pas les hommes. Je ne suis pas un homme très masculin, je ne fais pas de sports, je ne bois pas de bières… J’ai des filles vous savez, j’aime les poupées Barbie, j’aime Cendrillon, j’aime les choses qui sont roses… Mais ce que vous dites est intéressant parce que… je crois que nous avons tous des problèmes avec les femmes, on lutte avec ça, mais dans mes films les femmes sont toujours idéalisées, mises sur un piédestal, elles sont plus futées que les hommes… Est-ce que cela à un sens ?
Euh… Oui, mais cela sera peut être un gros challenge, pour vous, de faire un film uniquement sur des femmes.
J’ai besoin de ce challenge.
C’en sera probablement un, oui. Mais revenons sur Bronson : une grande importance a été donnée aux sons, à la musique, aux voix… Comment avez-vous abordé ce point là ?
Techniquement, ce que j’ai fait… Le film traite juste de la transformation d’un homme, et l’outil premier que j’avais c’était la performance de Tom Hardy. Soudain, ces petites choses qui semblent d’abord sans importance le sont devenues. Vous l’avez bien souligné. Mais la performance de Tom joue beaucoup sur ce point là. Ce film est une collaboration entre moi, Larry Smith, le directeur de la photographie, Tom, et mon monteur, Matt Newman. Ensemble, on a mis dans ce film tous les sons, des bruits de portes qui se ferment, la musique… tout ce qu’on entend dans le film.
A propos de la musique, justement, vous utilisez à la fois de la musique classique et de la pop des années 80. Les Pet Shop Boys ! Cela faisait des années que je ne les avais pas entendus ! Le mélange est si étrange…
Oui, c’était comme piocher tout ce qu’il y avait autour et… Le film commence vraiment comme une œuvre de pop culture. De la pop eighties. Les morceaux classiques font ensuite de plus en plus partie de l’histoire parce que la vie de Charlie devient de plus en plus opératique. C’est progressif. Mais ce que je fais toujours quand je crée un film, c’est essayer de me mettre dans la peau d’un musicien pour savoir quel genre de musique ce serait. Au début de la conception du film, j’écoutais du Pet Shop Boys 24 heures sur 24. C’était alors un film foncièrement lié aux Pet Shop Boys. C’est petit à petit que j’en suis venu à mettre de la musique classique. Cela m’est venu à la fin, lorsque Bronson prend le professeur d’arts en otage. A cet instant je me suis dit que le film était plus un opéra qu’un film pop. J’ai beaucoup joué là-dessus, ensuite, au montage.
Quel type de musique allez-vous utiliser sur Valhalla ?
Valhalla est le film le plus dur que j’ai fait à ce niveau parce que j’ai eu du mal à trouver, justement. Je me trouvais sur les collines d’Ecosse, au milieu de nulle part, avec autour de moi cette incroyable force de la nature. Soudain la musique pour décrire le film m’est venue : le vent. Le son de la nature.
Vous allez utiliser un son naturel ou bien avez-vous demandé à votre compositeur de jouer là-dessus ?
Je pense que je dois me concentrer sur cette nature. Nous sommes en post-production et… C’est le chemin que je prends. C’est fascinant, c’est très intéressant. Mais cela m’a pris du temps pour en arriver là, j’avais besoin de tester plusieurs choses… On a presque fini mais on a dû essayer tant de choses différentes… C’était très intéressant de travailler comme ça. La difficulté n’est pas de trouver la bonne musique, c’est de trouver celle qui ne l’est pas. Quand j’arrive sur un plateau, j’éprouve du plaisir à créer dans l’instant. Je ne sais pas toujours ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux pas. Et aussi parce que je réalise mes films dans l’ordre chronologique. Vous savez : scène 1, scène 2… Les choses prennent vie naturellement, progressivement, et votre travail consiste à aider cette construction.
Dans Bronson les scènes dans le théâtre ont-elles aussi été tournées chronologiquement ?
Oui. Vous savez, le public était rempli de poupées gonflables. Il y avait seulement entre 10 et 20 personnes dans la salle, tout le reste n’était composé que de poupées gonflables. J’espère que vous avez aimé le film.
Pour tout vous avouer, j’attendais Valhalla Rising et c’est Bronson qui est arrivé. Pour moi ce film est une vraie surprise. Esthétiquement, surtout, on est visuellement loin de la trilogie Pusher.
C’est différent. L’élément de surprise est important. C’est pourquoi j’ai décidé de faire Bronson avant Valhalla. Les gens pensent savoir ce qu’il vont avoir mais non ! Je ne veux pas être contrôlé, je ne veux pas… Je suis comme un gosse. Le professeur d’arts dit à Bronson : « Tu auras toujours ce que tu veux ». Et Bronson répond : « mais bordel, que savez vous de ce que je veux ! ? » Donc je trouve intéressant que le public, qui s’attend à quelque chose, obtiennent quelque chose d’un peu différent.
Valhalla Rising va-t-il être une surprise ?
Oui !
Donc pas de Braveheart n° 12 à l’horizon ?
En aucune façon !
Propos recueillis à Beaune le 04 avril 2009
Merci à Céline Petit du Public Système
(Photo empruntée à http://www.moviescopemag.com)