Ikitie – The Eternal Road (AJ Annila, Finlande, 2017)

Ketola est de retour en Finlande après avoir quitté les États-Unis de la grande dépression. Témoin de tensions politiques croissantes, il est soudain emmené à la frontière soviétique pour être exécuté : des nationalistes le soupçonnent d’être communiste. Il parvient à s’échapper et fuit en Union soviétique, mais le voilà contraint d’intégrer et d’espionner une ferme collective fondée par des Finlandais et des Américains.

Ikitie pas dans la merde

Malgré mon attachement à ce réalisateur – Jade Warrior et Sauna sont à mes yeux excellents – je ne me suis pas précipité sur ce Ikitie – The Eternal Road. Commandé dans le cadre du programme du 100e anniversaire de l’indépendance de la Finlande (1917), il avait tout du fade projet impersonnel. Erreur réparée. S’il s’agit bien d’une œuvre de commande, AJ Annila a su se l’accaparer. « Je voulais que le film avance à la façon d’un train », dit-il dans le dossier de presse. L’image est en effet glaçante, tant elle évoque celle, connue, des convois emmenant hordes juifs et pseudo ennemis dans les camps nazis pendant la seconde guerre mondiale. Pourtant, « le film est sans surprise » ai-je lu dans une critique à charge. En effet, un train va inéluctablement du point A au point B. L’inéluctabilité, c’était déjà le thème de Sauna qui contait la marche de types damnés allant à la rencontre de leur immonde destin. Mais ces gars-là étaient des crevards et le film appartenait alors à un registre fantastique quasi lovecraftien. Là, on baigne dans le fait historique ignoré avec, en guise de monstres, des hommes.

Les Finlandais qui suaient dans les kolkhozes ont eux aussi été victimes des grandes purges (1936 – 1938), ces emprisonnements, tortures, déportations et autres tueries massives d’opposants politiques réels ou supposés orchestrées à grande échelle par le parti communiste russe, sous Staline, via le NKVD. Annila reprend donc le concept d’une fatalité inexorable en suivant cette fois des gens biens, mais dont l’issue reste infecte. Là est le point fort de l’œuvre, ce point de vue qui ne donne pas de leçon ni ne fait flotter le drapeau du pays au vent. « Pour moi, ce n’est pas un film sur le communisme ou le capitalisme, mais sur des gens qui sont prêts à construire un monde et une vie meilleurs pour leurs familles et leurs proches. Souvent, ils ne sont pas à leur place dans ce monde » appuie le réalisateur. Le film montre cela de façon très délicate, élégante et touchante, sans jamais verser dans le pathos qu’un tel sujet amènerait aisément par ailleurs. On peut être surpris de ce virage de la part d’un gars dont le film Sauna peut être taxé de franchement sadique. Il s’en explique ainsi : « Depuis la naissance de mes propres enfants, j’ai éprouvé un énorme dégoût pour tout type de violence dans ce monde, donc je n’aime pas faire ces scènes et je ne veux pas non plus montrer de violence graphique ». Il faut ajouter qu’un membre de l’équipe de production a dû quitter le projet car le sujet le touchait trop personnellement : ses parents sont morts sous la domination soviétique.

Ce qui est très intéressant en découvrant ce film en 2022, c’est l’écho d’avec le menace russe aux frontières de l’Ukraine telle qu’elle nous est présentée aux infos. Le film, tourné en Estonie, raconte un évènement survenu en Carélie russe, a priori du côté d’Aunus (Olonets). La Carélie est aussi un pays tampon chargé d’histoire, qui illustre les dilemmes rencontrés par la Finlande, en particulier son appartenance à l’Axe pour contrer la Guerre d’hiver de 1940 lancée par Staline. Relativement ignorant sur ces sujets, je suis gré à Annila de m’avoir fait m’y intéresser par le prisme du cinéma. Car il s’agit avant tout d’un film, et d’un très beau. La photo souvent lumineuse de Rauno Ronkainen (Purge) a de la gueule. Certains plans des champs et de ces gens évoquent Cimino et sa Porte du paradis. L’ambition également, celle d’à la fois raconter la petite histoire dans la grande et d’embrasser frontalement la grande histoire de l’humanité. L’équilibre n’est pas loin d’être miraculeux sur ce type de postulat glauque auquel les auteurs parviennent à conférer une aura positive. Le lien entre le protagoniste et un cadre du NKVD rappelle même par (brefs) endroits celui entre un père juif joué par Roberto Begnini et un officier allemand dans La vie est belle. Sans rogner ni jouer la carte de l’emprunt. Le film, tiré d’un roman de Antti Tuuri, fiction partant d’une histoire vraie, contient de beaux moments de ciné, des plans travaillés, de remarquables plans séquences et une narration assez notable en cela qu’elle ne bifurque jamais. Elle colle au sujet, semble en effet avancer sur des rails (très peu de plans aux mouvements verticaux de mémoire), notre anti-héros se voyant bringuebalé d’un monde absurde à un autre, les drapeaux se mélangeant sans qu’il s’y intéresse jamais vraiment. Ni nous non plus. Il y a du Man Who Wasn’t There des frères Coen en lui, de ce type qui ne veut pas être là, n’a rien demandé à personne et ne peut que subir les évènements du monde. Ce parti pris, rare en cela, aussi, qu’on ne sait jamais si on doit trouver le héros sympathique ou non – car tel n’est pas le sujet – dénote une intelligence notable.

Depuis ce film, Annila s’est, comme beaucoup de réalisateurs, tourné vers la série TV. Sa prochaine, il vient de la signer pour HBO Max.

sources : http://www.iltalehti.fi et http://www.is.fi via fi.wikipedia.org

Lire aussi : https://cineuropa.org/fr/newsdetail/363051/

Annila chez hbo : https://cineuropa.org/fr/newsdetail/411587/

Photos : https://www.raunoronkainen.com/

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