Il faut que tu respires
Le réalisateur Mikkel Nørgaard (MN) et l’acteur Fares Fares (FF) se sont déplacés à Beaune cette année pour présenter leurs films Miséricorde, disponible en VOD, et Profanation, demain dans les salles. Ces adaptations des livres de Jussi Adler-Olsen ont déjà largement été évoqués en amont sur ce blog ; un compte-rendu du festival suivra sous peu. Entre les deux sur la photo ci-dessus, la productrice Louise Vesth.
Question pour FF : Parlez-vous vraiment un peu français ? [A un moment donné du film Profanation, Assad, le personnage joué par Fares Fares, échange quelques mots en un français impeccable avec une femme de chambre devant un Carl – Nikolaj Lie Kaas – qui n’y comprend rien]
FF : Pas du tout ! C’était juste pour le film.
C’était plutôt bien fait !
FF:(rires) Merci !
Carl et Assad, deux True Detectives sur le terrain.
A propos de votre personnage, Assad. Dans le livre, à l’écrit il est peut-être plus complexe qu’il ne le parait dans le film. Comment avez-vous fait pour intérioriser ça ? Vous et Nikolaj Liee Kaas (Carl) avez deux personnages bien écrits mais devez à la fois garder ça en vous et le montrer, ce qui n’est pas évident sur un format ciné par rapport à un format TV plus long.
FF : On n’a pas vraiment construit les personnages en fonction du livre. On a surtout travaillé à partir du scénario qui a été tiré du livre. Il y avait du matériau dans le roman avec lequel je n’étais pas vraiment d’accord, alors on a rajouté d’autres éléments dans le film.
Avez-vous choisi de modifier le personnage vous-même ?
MN : c’était quelque de chose de très important pour nous que de conserver ce mystère avec les personnages, tout comme dans l’histoire originelle. Dans le premier film, Miséricorde, il s’agit de trouver ce qui s’est passé avec cette femme tant d’années auparavant. Ça, c’est l’intrigue. Sur un autre niveau, également très important à mes yeux, on a cette relation entre Carl et Assad. La naissance de cette amitié elle-même fait partie d’un mystère. Je ne voulais pas que le public connaisse trop bien ces deux hommes. Assad a ses secrets, Carl a ses problèmes. Ils essayent de se trouver, de s’apprivoiser. Je pense que la fascination que j’avais pour l’alchimie entre ces deux hommes était suffisamment excitante pour qu’on ait l’envie d’en savoir davantage sur eux par delà l’intrigue.
A FF : Avez-vous longuement discuté avec Nikolaj Lie Kaas au sujet de cette amitié entre Assad et Carl ?
FF : Oh oui ! Tous les trois, on a beaucoup parlé de ça.
Assad, derrière. Second couteau qui porte bien le flingue.
Votre personnage n’est pas forcément facile à interpréter. Dans le second, il commence par confirmer que « oui, c’est lui l’arabe ». En France on a aussi, comme vous, des acteurs qui ont joué « l’arabe » à l’étranger, je pense à Sami Bouajila et Saïd Taghmaoui. C’est votre cas [Sécurité rapprochée, Zero Dark Thirty], vous avez cette expérience. Dans le premier film, ça semblait pesant à porter, dans le second c’est entériné. Était-ce plus respirable pour vous?
FF : Dans le premier film c’est une épreuve parce que Carl est très distant. Plus que dans le second. Mais je ne crois pas qu’Assad s’intéresse à ce que les autres pensent de lui. Si on lui dit qu’il est arabe, ça lui passe au dessus, il s’en fiche. C’est encore plus le cas dans la suite parce que Carl et Assad sont désormais amis. On passe à la suite, cette étape est derrière.
A MN : Vous avez dirigé Nikolaj Lie Kaas, un acteur qui a tout joué, comme vous-même qui avez réalisé une comédie, Klovn, qui n’a définitivement rien en commun avec ces deux polars. Votre passage par la série Borgen vous a-t-il aidé à approcher le département V ?
MN : (rires) En tant que réalisateur je pense avoir plusieurs facettes. Klovn et l’approche comique, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup, mais je crois disposer d’une face plus classique du cinéma. L’expérience sur la série Borgen a en effet été un pas en direction d’un cinéma plus classique mais je crois que cela a toujours été en moi. Ça n’est pas si difficile que ça peut le paraître de l’extérieur. Klovn d’un côté, Miséricorde de l’autre, beaucoup de réalisateurs n’ont pas forcément ces deux facettes là je pense. J’ai toujours voulu explorer différents genres.
La forme est très éloignée, voire même opposée.
MN : Totalement ! Klovn est parfois improvisé et c’est une comédie. The Keeper [Miséricorde] et The Absent One [Profanation], c’est du cinéma classique, avec un scénario très structuré, une photographie très travaillée.
L’inénarrable Klovn.
Avec Klovn on s’approche même parfois du Dogme – on pense aux Idiots de Lars Von Trier par endroits.
MN : D’une certaine façon, on était très proches du dogme dans notre façon de filmer et d’approcher ce sujet. Là, on s’approche d’un cinéma plus classique, français, américain.
Il me semble difficile de mixer deux histoire dans une au cinéma ; montrer à la fois le point de vue des policiers, des victimes et des vilains – je schématise -, une constante dans les romans mais pas au ciné. Deux scénaristes on travaillé sur le second livre alors qu’il n’y en a qu’un de crédité sur le premier. L’équilibre est à mon sens étonnamment bien restitué dans le second film. Grâce au scénario ou simplement par votre approche de la mise en scène ?
MN : Toujours grâce à mon approche (rires). Non, Nikolaj Arcel [le scénariste] et moi-même avons essayé ensemble de trouver comment adapter les livres. Dans le premier, on a d’abord cherché l’angle d’approche. Le premier scénario était comme une très petite histoire. On voulait broder entre l’intrigue et la relation entre les deux hommes. La seconde est plus grosse, avec un univers beaucoup plus grand, beaucoup plus coloré. Il y a en effet davantage de moments de cinéma dans celui-là. Plus on s’enfonçait dans cet univers, plus on se sentait capable de l’explorer. De mon point de vue, ces deux films sont de la même famille mais franchement différents. Je les ai fait donc je les aime tous les deux mais j’y vois différentes choses et j’aime vraiment beaucoup ce qu’on a été capables de construire dans le second. Ouvrir cet univers et montrer tellement plus.
Dans le premier, j’ai l’impression que vous êtes un peu prisonnier de cette histoire. Un peu comme cette femme enfermée, finalement. Dans la suite, vous arrivez à respirer avec votre mise en scène, on peut le sentir.
MN : Je suis heureux que vous le preniez ainsi parce que c’était véritablement mon approche. Je voulais que l’on ressente le premier film comme irrespirable. J’ai essayé de restituer une ambiance claustrophobe, tout comme l’est sa situation à elle. Je souhaitais que le public partage son isolement, son espace de plus en plus restreint. Qu’il soit avec elle, qu’il se dise, comme elle : « je veux sortir de là, je ne peux plus respirer ! ». Dans la suite, je voulais ouvrir tout ça, que tout le monde se prenne un grand bol d’air. On est dans un autre monde, avec beaucoup plus de perspectives. C’était mon intention.
L’enfermement dans Miséricorde.
On trouve dans le 1er roman plusieurs éléments qui m’ont fait penser à Old Boy, un film coréen qui, fait amusant, a été projeté cette année à Beaune. N’avez-vous pas repéré quelques similitudes ?
MN : Ah! Je n’ai pas vu ce film.
FF : Tu ne l’as pas vu ? C’est en effet un très bon film, tu devrais le voir ! Mais tu vas avoir du mal à répondre à cette question (rires).
Ok ! Embrayons. Dans Profanation, j’ai repéré plusieurs vignettes qui proviennent directement du genre « hard boiled », le nez cassé du héros évoque largement le Chinatown de Roman Polanski. Êtes-vous un adepte du polar noir ?
MN : J’adore ce film. Je le regarde au moins une fois par an. Il possède l’essence du film noir. Polanski et toute cette génération de réalisateurs, waouh ! On fait de bons films de nos jours, bien-sûr, mais les 70’s aux USA et toute cette vague ont eut une très grande influence sur moi en tant que réalisateur. Les hommes du président, French Connection etc, mais Chinatown, vraiment, c’est un film clef en ce qui me concerne, et une véritable inspiration pour plonger dans l’univers de Jussi Adler-Olsen. Une parmi d’autres, comme le thriller Seven de David Fincher où l’on trouve aussi toute une atmosphère, une texture. Mais ma fascination du noir vient sans nul doute de Chinatown.
Jack Nicholson dans Chinatown. « Allo, les gars ? L’icône du nez pété, c’est moi qui l’ai inventée, ok? »
Johan Söderkvist a composé la musique. On le connaît surtout chez nous pour son travail sur Let the Right One in. Comment avez-vous discuté avec lui sur la façon d’illustrer musicalement ces histoires ?
MN : Je voulais Johan justement à cause de Let the Right One in. J’avais adoré ce film et la façon dont cette musique y était incorporée. Et Johan est venu et on a beaucoup parlé du score. Surtout pour le second, où je crois que la musique est vraiment bonne. Il était très important pour moi que l’histoire de ces jeunes, à l’école, soit une histoire d’amour. Je voulais que ce soit très beau, je voulais partager son évolution au sein du pensionnat. C’est très chargé lorsqu’ils battent des gens ou ont des relations sexuelles, là on a de très bons moments musicaux – de mon point de vue bien-sûr ! Cela apporte un contraste et une dynamique par rapport à toute cette violence. Il y a beaucoup d’émotion avec le point de vue de ces étudiants, c’est de l’amour passionnel. Pour le public, c’est de la violence. La rencontre de ces deux éléments explose.
Kimmie rebelle. « Oh quelle étrange affaire, dans mon cœur, ce mystère… »
Sur Profanation, on a en effet un sentiment un peu schizophrénique, entre cette musique faite pour l’histoire d’amour et les illustrations mélodiques du polar plus hard boiled qui se tient de nos jours.
MN : Oui, ils ont fait du beau boulot, surtout sur le second film.
Au Danemark, c’est une grosse production, on pourrait même parler de blockbuster. Avez-vous subi beaucoup de pression ?
MN : Oui et non. Lorsqu’on adapte un livre aussi énorme, tout le monde s’attend à un gros film. Cette attente crée de la tension. Mon film The Klovn a été un gros succès au Danemark, je pense pouvoir dire que je suis habitué à ça. Lors de la pré-production, je la sentais, cette pression, mais dès que j’ai commencé à tourner, je ne me suis plus consacré qu’à ça. J’ai fait les films que je voulais faire. Au moment de la sortie du film, la pression revient mais pendant le tournage, le focus est sur le film et le reste ne vous inquiète pas. Vous faites ce que vous savez faire. Heureusement, les films ont été bien reçus au Danemark et le public a apprécié notre approche de cet univers.
Prêts pour une 3ième aventure ?
De ce que j’en ai lu sur la toile, vous ne réaliserez pas le 3ième opus ; c’est le norvégien Hans Petter Moland [qui a remporté le Grand Prix de Beaune l’année passée avec In Order of Disappearance] qui s’attellera à l’adaptation de Délivrance. Pourquoi pas vous ?
MN : Louise Vesth, productrice du film, Nikolaj Arcel le scénariste et moi-même avions choisi d’adapter ces livres pour le cinéma. Au début, je ne devais d’ailleurs réaliser que le premier. Ensuite, à travers cette dualité qu’on vient d’évoquer on a pensé qu’il serait mieux que je réalise également le 2ième. Mais maintenant que ces films sont faits, je pense qu’il est temps d’apporter une nouvelle énergie à cet univers. Je l’adore, j’ai vraiment aimer travailler avec Farès et Nikolaj et je pense que le 3ième livre est très bon. Mais il faut du sang neuf. Je pourrais le réaliser mais, honnêtement, dans ce cas j’aurais besoin d’un certain recul, de un voire deux ans pour choisir la bonne approche. Je dois assimiler, déjà, mes deux films avant d’avancer sur le troisième. Peter est un bon réalisateur, il apportera ce qu’il faut au Département V.
Ce réalisateur a beaucoup travaillé avec le suédois Stellan Skarsgård. Va-t-il importer cet acteur sur Délivrance ?
FF : (rires) Honnêtement, on a essayé de le faire venir, mais je ne crois pas. Il n’y a pas d’élément dans l’histoire qui justifierait qu’il vienne y jouer.
A quelle étape du film vous situez-vous en ce moment ?
FF : En ce qui me concerne, la pré-production va commencer la semaine prochaine et on devrait attaquer le tournage en mai.
Merci à Mikkelm Nørgaard et Fares Fares d’avoir répondu à mes quelques questions.
Merci à Etienne Lerbret (UniFrance) de m’avoir accordé cet entretien.
Merci au Public Système et à la ville de Beaune pour leur accueil.
Ping : Le Caire Confidentiel, Grand prix du Festival International du Film policier de Beaune 2017 | Les Givrés d'la Bobine